Un mets de choix. La tête de veau n'est pas un plat consensuel. Et encore, on a fait des progrès en ne la présentait plus entière dans les restaurants mais « en tortue » depuis le début du XIXe siècle, c'est-à-dire en morceaux avec ses légumes et sa sauce à part. Ce mets connu dans l'Égypte ancienne, très apprécié de François 1er, a traversé les temps et les cultures en devenant un totem républicain avec la création en Angleterre du Calves-Head Club au XVIIe siècle, société de libéraux qui voulaient en finir avec la royauté, la tête du veau symbolisant celle des monarques. La coutume fut reprise par les révolutionnaires français qui sacrifièrent à la tradition les 21 janvier, jour de la décapitation de Louis XVI en 1793, puis par les communistes. Ainsi l'historien Michel Vovelle, membre du PCF et grand spécialiste de la Révolution, n'hésitait pas à provoquer ses confrères et amis chaque 21 janvier autour d'un jeune bovin guillotiné. Les surréalistes l'ont aussi adoptée, mais pour s'en moquer. De prestigieuse, la préparation est devenue populaire avec l'expression « Parigot, tête de veau ».
Pour retracer l'aventure de ce plat gélatineux un peu tombé en désuétude avec le regain du végétarisme mais qui en dit long sur la tradition culinaire hexagonale, il fallait bien un historien, en l'occurrence Pierre Michon. Comme son homonyme écrivain, celui qui est aussi rédacteur des débats du Sénat ne manque pas de faconde lorsqu'il s'agit de mettre les petits plats dans les grands pour ce délectable moment politique et gustatif. Il nous rappelle que certains aliments sont aussi des marqueurs sociaux. Ainsi, la cervelle de canut, spécialité fromagère, a été inventée par les ouvriers des filatures de soie lyonnaises au XIXe siècle pour se moquer des patrons qui mangeaient de la cervelle d'agneau à laquelle eux n'avaient pas accès.
La cuisine électorale passe aussi par les saveurs. Alimentaire, mon cher Watson ! Lors des campagnes, les candidats font assaut de ruralité. Jacques Chirac a beaucoup fait pour la tête de veau - qu'il n'appréciait pas tant que ça, nous dit Pierre Michon, en tout cas beaucoup moins que Philippe Séguin. Édouard Balladur, en chute dans les sondages, avait lui cru bon de mettre en avant son goût pour le pot-au-feu... Quant à François Mitterrand, il ne cachait pas le sien pour la tradition et les mets rares comme les pibales, ces alevins d'anguille onéreux, ou les ortolans dégustés sous la serviette.
Faut-il en conclure que l'on pense comme on mange ? Qu'il existe une corrélation entre l'assiette gourmande et l'assiette fiscale ? Pour Pierre Michon, cela ne fait aucun doute, même s'il faut se méfier des classements intempestifs, comme la saucisse à gauche et le foie gras à droite. Le prix ne fait pas tout. Et cette savoureuse monographie de la tête de veau nous rappelle combien la gastronomie demeure culturelle. D'ailleurs, dans la dernière partie de l'ouvrage où l'auteur répertorie quelques recettes, on apprend que les Anglais servent ce mets avec des huîtres...
Petite histoire de la tête de veau. Quand la gastronomie fait de la politique
Tallandier
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 19,90 € ; 224 p.
ISBN: 9791021064805