Récit

Philippe Sollers, « Agent secret » (Mercure de France) : Visible, invisible

Philippe Sollers - Photo © Francesca-Mantovani/Gallimard

Philippe Sollers, « Agent secret » (Mercure de France) : Visible, invisible

Philippe Sollers dans une balade autobiographique enchantée, où l'auteur de Femmes joue à cache-cache avec son lecteur et ses secrets. Tirage à 6000 exemplaires.

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Par Olivier Mony,
Créé le 01.03.2021 à 16h23

Voilà plus d'un demi-siècle que Philippe Sollers est le Fregoli de la littérature française contemporaine. Il est passé par ici, il repassera par là. Vous le croyez chez Mao, le voilà déjà chez le pape. Vous l'imaginez Casanova, il est plutôt du côté de chez de Kooning. Vous le voudriez romancier, voilà que le moraliste pointe son nez. Il est tout cela à la fois et tant d'autres choses encore, bardé d'une ironie dévastatrice qui est chez lui une forme de pudeur ou au moins de bonne éducation. Ses infidélités ne sont pas ce que l'on croit, mais plutôt un réseau, livre après livre, de fidélités multiples qui se concertent et se répondent. L'une domine toutes les autres : il est toujours du côté de l'art, toujours du côté du livre. Cela l'éloigne tristement chaque jour un peu plus de notre époque...

Pourtant, il y a en ce début de printemps une « actualité » Sollers. Et elle n'est pas qu'éditoriale, mais en quelque sorte ontologique. Alors que paraît chez Gallimard son nouveau roman (et on se gardera bien de mettre des guillemets à ce mot, comme l'auteur s'est toujours soustrait à ce que l'on croit improprement être les canons du genre), Légende, il nous offre en même temps avec Agent secret, dans la merveilleuse collection « Traits et Portraits » du Mercure de France,quelque chose que l'on ne croyait plus pouvoir espérer de lui, non une confession mais une balade au fil de sa vie et de ses dilections, une réflexion enchantée.

Alors quoi ? Agent secret, vraiment ? N'est-ce pas après tout, et pas seulement chez Conrad, Greene ou Le Carré, ce qu'est ou devrait être tout écrivain ? Et le secret n'est-il pas ce qui pourrait résumer l'œuvre même de l'auteur qui parvient à être et rester tout à la fois bordelais, parisien, rétais et vénitien ? Venise et ses masques, la possibilité d'une île, une façade XVIIIsiècle et aussi une de réseaux, d'ordonnateur de hautes œuvres (de Tel Quel à L'Infini)... Moderne ou antimoderne, qu'importe, puisque Sollers est d'abord l'emblème d'une liberté folle, en littérature comme ailleurs. C'est celle-ci qui s'exprime tout au long de ces pages, portées d'abord par les rencontres qui l'ont pour un temps ou pour toujours forgé. Il y a Julia Kristeva et Dominique Rolin bien sûr, son fils David, mais tiens, voici Lacan, voici Barthes et plus loin (mais aussi près de lui, car les siècles ne lui sont que des pièces adjacentes d'une même demeure) Hölderlin, Bataille, Monteverdi, Picasso et l'adorée Cecilia Bartoli. Tous comme autant de frères et sœurs invisibles.

Cet exhibitionniste profondément pudique ainsi qu'il convient s'y révèle aussi en rêveur patenté. Sous sa plume, les ciels ou les arbres de Ré, la lagune à Venise prennent comme une teinte japonisante. Un peu comme dans les derniers films de Godard, on se dit qu'il finira par y dissoudre et son être et son œuvre. Plus que jamais toutefois- et c'est ce qui en fait aussi tout son prix -, le « mystère Sollers » s'épaissit autant qu'il se dévoile. N'est-ce pas là la marque d'un bon agent secret ? Jouer comme un enfant à un jeu de grand qui s'appelle le visible et l'invisible.

Philippe Sollers
Agent secret
Mercure de France
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 18 € ; 200 p.
ISBN: 9782715254350

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