C’est un phénomène très discret : L’utilité de l’inutile du philosophe italien Nuccio Ordine, traduit par Luc et Patrick Hersant, se retrouve dans la liste des meilleures ventes essais. Ce petit livre, publié pour la première fois par Les Belles Lettres en janvier 2013 et vendu à 7 300 exemplaires, a été réédité en janvier 2014 dans une nouvelle édition augmentée par l’auteur. Présenté le 29 mai à "La grande librairie" de François Busnel (France 5), ses ventes se sont envolées : 2 000 exemplaires ont été vendus en une semaine, dont 991 dans la seule journée du 6 juin, si bien que le livre a été réimprimé et atteint un tirage de 8 000.
Son succès s’inscrit dans celui des petits livres de philosophie, dans la lignée d’Un été avec Montaigne d’Antoine Compagnon, apportant une véritable réflexion sur la société contemporaine. Nuccio Ordine, spécialiste de Giordano Bruno, enseignant dans les universités italiennes, françaises et américaines, convoque les classiques, Aristote, Ovide, Dante, Pétrarque, Kant, Leopardi, Calvino, mais aussi David Foster Wallace ou Gabriel García Márquez, qu’il cite abondamment pour défendre la thèse selon laquelle "certains savoirs […] par nature gratuits, désintéressés et éloignés de toute obligation pratique et commerciale, peuvent jouer un rôle fondamental dans la formation de l’esprit et dans l’élévation du niveau de civisme et de civilisation de l’humanité". Il démontre en trois parties "l’utile inutilité" de la littérature, les conséquences désastreuses de la logique du profit dans l’enseignement, la recherche et les activités culturelles, et la valeur illusoire de la possession sur l’amour et la vérité. En annexe, un texte du pédagogue américan Abraham Flexner, datant de 1939 et traduit pour la première fois, démontre que les grandes découvertes scientifiques inspirées par la seule curiosité des chercheurs "se sont révélées fondamentales".
Nuccio Ordine critique ouvertement une époque "qui transforme les hommes en marchandises et en argent", prête à jeter cyniquement la Grèce hors de l’Europe, et défend l’art et la littérature, citant Ionesco : "L’art devrait servir à rapprendre aux gens qu’il y a des activités qui ne servent à rien et qu’il est indispensable qu’il y en ait."
