Rentrée littéraire 2021

Patrick Modiano, « Chevreuse » (Gallimard) :L'éternel retour

Patrick Modiano - Photo © Francesca Mantovani/Gallimard

Patrick Modiano, « Chevreuse » (Gallimard) :L'éternel retour

Dans Chevreuse, le prix Nobel Patrick Modiano continue à creuser le sillon sublime de ses souvenirs flous. Tirage à 90000 exemplaires.

Par Olivier Mony,
Créé le 10.10.2021 à 23h44

C'est un débat qui ne se conclura jamais et divise depuis toujours ses contempteurs comme ses zélateurs. Patrick Modiano écrit-il toujours le même roman ou plus subtilement, le continue-t-il ouvrage après ouvrage (selon la belle expression de Jean-Baptiste Harang) ? Nul doute que le dernier en date, ce Chevreuse si absolument conforme à ce que l'on peut en attendre, fournira des arguments à chacun des deux camps et ne sera pas de nature à les réconcilier. Pire même (ou mieux, c'est selon), c'est comme si le romancier, avec une malice qui lui est plus coutumière qu'on ne le croit, s'était évertué à nourrir cette sorte de disputatio. On retrouvera dans ces pages, en un ressassement qui lui est propre, des lieux (un surtout, on le verra, déjà culte pour ses fidèles lecteurs), des noms, des dispositifs narratifs, des filles en fuite, un garçon errant dans les rues et ses souvenirs, une onomastique intrigante, des femmes qui furent belles et s'emploient avec lassitude à le demeurer, des secrets de maisons vides, des chambres d'hôtels plus ou moins louches, des époques et des âges entre chien et loup...

Résumons toute l'affaire. Paris, années 1960. Bosmans est un jeune homme d'une vingtaine d'années dont il apparaîtra très vite qu'il n'est qu'un double de l'auteur. Il vit d'on ne sait trop quoi, le plus souvent en compagnie d'une amie, Camille, qui aime à se faire surnommer « tête de mort ».

Retour de peine

Camille fréquente des gens bizarres, des gens comme en attente d'une vie, à moins que ce ne soit l'attente d'autre chose, peut-être l'espoir de faire disparaître leurs traces, l'écho d'actions lointaines, commises en des temps plus noirs encore que ceux qu'ils vivent aujourd'hui...

Tout en s'en méfiant, Bosmans se joint de loin en loin à cette petite bande qui va bientôt le ramener en vallée de Chevreuse, à Jouy-en-Josas, dans une maison rue du Docteur-Kurzenne où il a passé quelques mois durant son enfance. Coïncidence ? Pas nécessairement. Que veulent de lui ces étranges personnages ?

Cette maison était déjà au cœur de Remise de peine, l'un des plus beaux romans de Modiano, dont la dimension autobiographique était clairement reconnue et où il approchait au plus près de son enfance auprès de son frère Rudy. Chevreuse peut donc se lire comme un épilogue de ce précédent livre, presque une suite. Le cantonner à cette dimension serait néanmoins une erreur. Parce que l'auteur de Dimanches d'août y déploie son récit sur plusieurs strates de temps qui se répondent de loin en loin. Bosmans, le plus souvent jeune homme, y est aussi enfant donc, et encore- ce sont parmi les pages les plus intrigantes- un homme dans sa pleine maturité, passant par Paris et par Nice où il retrouve des fantômes qu'il croyait avoir oubliés. Ces mêmes fantômes qui le traquaient lorsqu'il avait vingt ans, c'est maintenant lui qui les chasse. Tout cela est infiniment troublant jusqu'à l'ultime phrase, sublime.

Patrick Modiano
Chevreuse
Gallimard
Tirage: 90 000 ex.
Prix: 18 € ; 176 p.
ISBN: 9782072753855

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