Voici un bien curieux roman, hybride, déroutant, érudit, brillant, difficile à synthétiser. À un moment, le narrateur, l'écrivain Lucien, feint de s'interroger : « Ce roman sera-t-il un remake de ceux que publiait Aragon à la fin de sa vie où il écrivait n'importe quoi dans le désordre ? » Lucien se revendiquant communiste, la paternité n'est pas choisie au hasard. Quant au « n'importe quoi », on pourrait le comparer à la glaise, ce matériau primordial des sculpteurs, qu'ils pétrissent et retouchent sans cesse, jusqu'à ce qu'il prenne forme humaine. On pense à Rodin, à Giacometti.
L'humanité, ici, est un condensé germanopratin : un écrivain, donc, Lucien, deux de ses éditeurs, Éric Lorrain et Guillaume Lambert, et un chanteur, Bob Horvat. Ils ont en commun d'être amis (d'enfance, pour Bob) et des barbons à la vie sentimentale tumultueuse, tous remariés à des femmes bien plus jeunes − respectivement Zoé, Gwendoline, Maria, Natacha, lesquelles sont également romancières, rayon autofiction. Tout ce petit monde se fréquente, se publie, se raconte. Et toute ressemblance avec l'auteur n'est sans doute pas vraiment fortuite.
On pourrait chercher des clefs. Mais ce qui « occupe et distrait » Lucien, vieillissant (mal), misanthrope, dépressif, c'est de raconter les trois ans (24 mars 2016-21 novembre 2019) de sa relation avec Zoé, laquelle l'a quitté pour un Kazakh, parce que, lui, il a bien voulu lui faire un enfant. Et tout cela « dans le désordre » bien sûr, parce que la vie est rarement linéaire.
Scènes de ma vie privée
Grasset
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 € ; 198 p.
ISBN: 9782246830535