Pascal Fioretto

Pascal Fioretto : "Je suis le pendant comique de Pierre Assouline"

© olivier dion

Pascal Fioretto : "Je suis le pendant comique de Pierre Assouline"

Pasticheur depuis près de dix ans, Pascal Fioretto signe un Concentré de best-sellers, le 2 janvier chez Chiflet & Cie, pour la première fois en duo. Avec son complice Vincent Haudiquet, il capte les tics d’écritures de 80 auteurs qui ont fait les meilleures ventes de l’année 2014.

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Par Anne-Laure Walter
Créé le 12.12.2014 à 01h04 ,
Mis à jour le 12.12.2014 à 10h36

Pascal Fioretto - Dans Concentré de best-sellers, nous avons inséré un bon de réclamation à la fin de l’ouvrage grâce auquel on peut soit se plaindre d’y être, soit se plaindre de ne pas y être et commander sa prochaine quatrième de couverture si on est à court d’idées. Etre pastiché, c’est comme avoir sa marionnette aux "Guignols". A l’exception d’un auteur qui a quand même voulu en venir aux mains, les réactions sont, sincèrement ou non, positives. J’avais signé un texte d’Anna Galvauda avec comme tic d’écriture des dialogues où l’on perdait un peu le fil de qui parlait. Interrogée par L’Express sur la position du pastiché, Anna Gavalda avait raconté que suite à cette lecture, elle était allée vérifier la cohérence des incises dans son manuscrit suivant.

La grande différence est que, pour la première fois, j’ai travaillé avec un complice, Vincent Haudiquet. Ensemble, nous avons choisi les auteurs qui sont réunis sur les tables de meilleures ventes des librairies. Sur la page de gauche, le personnage médiatique est croqué, sur celle de droite, son style est capté. Nous sommes dans l’épure du pastiche, la quintessence de l’œuvre, puisque nous n’avons pas le temps d’installer vraiment le souffle d’un auteur.

Je lis les textes pour en repérer les ficelles voire les câbles. Et tout au long de l’année, je reste à l’affût de ce qui sort, je lis la presse, les suppléments littéraires du jeudi, La Nouvelle Quinzaine… ça me donne des angles. Et ça m’intéresse. J’ai un amour profond pour la littérature, même s’il est dévoyé. Pierre Assouline fait les critiques littéraires, moi je fais le bouffon. Il faut bien que quelqu’un se charge du sale boulot. D’ailleurs, le pastiche, c’est de la critique littéraire en action. Je suis peut-être le pendant comique de Pierre Assouline ?

Le pastiche est un exercice d’admiration, avant d’être une imitation. Proust admirait terriblement Flaubert. Au point qu’il utilisait les vertus purgatives du pastiche pour tuer le Flaubert qui était en lui, écrire enfin du Proust et non du Flaubert involontaire. Dans cet ouvrage, il y a des auteurs que j’aime comme Jean d’Ormesson, Annie Ernaux, Michel Houellebecq, Sylvain Tesson, Philippe Sollers ou Aurélien Bellanger. Une caricature peut être plus ressemblante qu’un portrait et quand le pastiche est réussi, il est une synthèse de l’œuvre.

Le tableau du monde des lettres que nous dressons avec Vincent Haudiquet fait rire, mais tristement. Si l’on réduit la scène littéraire à nos 80 bouquins, il n’y a pas grand-chose qui réjouisse l’âme. Une fois que nous avons montré comment le personnage public et l’œuvre fonctionnent, nous nous retrouvons avec beaucoup de pantins désarticulés avec leurs postures, leurs trucs, leurs tics, leurs fausses audaces…

Oui, Milan Kundera. Je ne voulais pas m’en dégoûter. Car l’exercice du pastiche est d’avaler les œuvres jusqu’à la nausée pour la régurgiter.

Je vais faire mon coming out : j’ai pris du plaisir à lire les frères Bogdanov. Je suis scientifique de formation - j’ai fait quinze ans d’ingénierie avant le pastiche - et ce côté "science pour les nuls" me séduit. Par ailleurs, les romans de Gilles Legardinier me font authentiquement sourire.

Heureusement. Et j’en fais un critère de qualité. Un livre me plaît quand j’oublie comment il est construit, quand je suis submergé par l’émotion littéraire. Ce qui m’est arrivé cette année avec Thomas Pynchon et Enrique Vila-Matas. Mais c’est vrai que c’est un handicap dans la lecture. Et pour l’écriture, n’en parlons pas ! Comme je l’ai raconté dans un récit [Un condamné à rire s’est échappé, chez Plon, NDLR], vous vous retrouvez avec un surmoi penché au-dessus de votre épaule. Sartre disait que le pastiche est un "genre impuissant". C’est ma malédiction, je suis condamné à m’arrêter à la forme et à ne pas toucher le fond. Mais Hugo ne dit-il pas que la forme, c’est le fond qui remonte à la surface ?

J’étais un praticien du pastiche formé par Jalons, le groupe d’intervention culturelle aux côtés de Basile de Koch et j’ai lu les classiques comme Paul Reboux et Charles Muller, mais aussi Jean-Louis Curtis ou plus récemment Patrick Rambaud. Je suis devenu plus théoricien.

C’est de la littérature au deuxième degré, je suis donc toujours curieux de voir qui cela touche. Généralement, les professeurs ou responsables de CDI qui m’invitent ont l’espoir secret que je vais dégoûter leurs élèves des Musso ou Levy pour les diriger vers la vraie grande littérature. Mais ce n’est pas mon boulot. Je ne me mets pas au-dessus de la mêlée. Le bouffon appartient à la cour. J’en accepte les codes et les coutumes, les salons du livre, les cocktails, les interventions dans les lycées Jean-Monnet et les présentations dans les médiathèques Pablo-Neruda. Je ne jouerai pas les donneurs de leçon.

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