Partie commune fait irrésistiblement penser à la chanson de Bénabar où l'artiste retrace le destin d'un pavillon de banlieue. Dans le roman de Camille Bordas, à la fois singulier et délicat, tout en demi-teinte et plein de non-dits comme cachés dans des greniers poussiéreux, c'est une maison, également, qui joue le rôle principal. Parce que sur trois siècles, elle en a vu passer, des humains, dont les Monin.
Les parents d'abord, disparus. Puis Paul, le patriarche, un gentil prof à la retraite, veuf et remarié, qui a délaissé la maison familiale pour s'installer chez sa nouvelle femme. Joseph et Max, ses fils, qui ne s'entendent à peu près sur rien. Et même la belle et inquiétante Isis, la petite amie de Max, qui n'a pas eu que du bonheur et tente de se sevrer enfin de la drogue qui a détruit sa vie. A la campagne, les tentations sont moins nombreuses.
Aussi, lorsque la maison sera rachetée par Hector, un dramaturge bizarre qui décide de la transformer en théâtre permanent pour sa petite troupe jusque-là errante, Isis choisit de rester et de tenter l'aventure. Elle n'est pas comédienne ? Les autres pas vraiment non plus. De toute façon, Hector ne leur demande pas grand-chose, si ce n'est d'interpréter, sur scène, leurs rêves ! Au début, c'est Joseph le narrateur de sa saga familiale, puis Isis prend le relais, comme plus tard Hector livrera sa conception du théâtre. Mais la narratrice principale, c'est la maison elle-même, et c'est elle qui aura le dernier mot. Au début, elle veut se laver de l'accusation, colportée par les autochtones, d'être "maudite", hantée par le fantôme de la grand-mère Monin, morte dans le grenier dont elle n'était pas parvenue à ouvrir la porte. Pour un peu, on se croirait dans Poltergeist.
Il faut dire que la maison en question est un tantinet spéciale : outre qu'elle écrit, elle communie avec les pensées de ceux de ses habitants qu'elle aime bien (comme Paul ou Isis). Et plusieurs des objets qu'elle renferme, comme une tasse, une porte ou un miroir, interviennent aussi, brièvement, dans le fil tissé du récit. On sait, depuis Lamartine, que les "objets inanimés » peuvent avoir une âme, surtout les maisons.
Cette ambiance et cette variété polyphonique font l'originalité, le charme de ce deuxième roman de Camille Bordas, peut-être plus "sage" que le précédent, mais qui ne déçoit pas.