Dégoût, tristesse, colère, incrédulité, l’attaque et l’exécution des membres de Charlie Hebdo et de ceux qui les protégeaient meurtrissent chacun d’entre nous. Les terroristes incarnent une brutalité, une absence d’humanité, une intolérance qui nous révulsent. C’est rassurant et salutaire que le pays se rassemble pour marquer son refus de cette barbarie et en appeler à la République et à sa valeur de liberté.

Si nous sommes à ce point touchés, c’est non seulement que nous adhérons à cette valeur abstraite, mais aussi parce que nous sentons qu’elle est indispensable à notre vie personnelle. Et c’est pour cela que s’est spontanément imposé le slogan “Je suis Charlie”.  L’atteinte à la liberté d’expression est bien sûr une première étape à l’atteinte à toutes nos libertés.

Les choix constitutifs de notre identité personnelle ne résisteraient pas longtemps à une société imposée par ceux qui adhèrent à cette barbarie. S’habiller, manger, sortir, danser, penser, rire, aimer... tout ce qui fait que nous construisons nous-mêmes le sens de nos existences au jour le jour ne serait plus possible. Une vision unique nous serait imposée, si éloignée de notre conception évidente de l’autonomie individuelle d’aujourd'hui. Par-delà donc la République, c’est bien notre liberté personnelle de choix qui est en jeu, et c’est pour cette raison que nous sommes profondément affectés. Et là où ces lâches pourraient souhaiter diviser le pays, pourquoi ne parviendraient-ils pas, au contraire, à nous rassembler ?

Pris dans les difficultés économiques, les clivages politiques et la difficulté à penser notre monde en mutation, nous peinons à construire une vision positive de notre société. Le bonheur est pourtant là, sous nos yeux, dans nos existences personnelles libres à l’ombre de la République. Par-delà notre singularité à laquelle nous sommes tant attachés, nous devons reconnaître la force de ce qui nous rassemble.

Des institutions et un cadre démocratiques sont nécessaires pour que nous puissions construire nos vies par nos choix. Ils nous assurent liberté, paix et pluralisme. C’est parce que nous sommes la République que “Je suis Charlie”. Reconnaissons ce lien et rappelons-nous-le ! Parce que le livre et la culture sont un support particulièrement propice au lien entre citoyens, il est bon que nous soyons conscients de ces enjeux.

Cherchons toujours ce qui nous rassemble au-delà des clivages. Portons ce discours positif contre la vision décliniste ou désenchantée du monde ! C’est sans doute le meilleur moyen de rendre hommage à ceux que Robert Badinter a justement qualifié de “soldats de la liberté”.