Après avoir fait publier deux romans et un essai, mais surtout après avoir été incapable de publier quelques textes tout à fait magnifiques, j’ai décidé d’arrêter cette activité incertaine pour écrire moi-même plutôt que de m’occuper des autres. On verra bien si je parviens à me faire publier. Pas encore trop desperado… Mais pour dire franchement, j’en avais un peu marre des manuscrits envoyé, sans recevoir le moindre accusé de réception. Des textes envoyés à des éditeurs –certains se disaient mes amis quand je dirigeais la page livres du JDD - et qui étaient confié à des stagiaires d’été jeunes et jolies, des diplômés en édition ( ?), des normaliens à lunettes, etc. Des retours du genre : « On a déjà traité le sujet », « les livres ne se vendent plus », « c’est bien mais c’est triste » et autres « on n’a pas de collection pour ce texte »… Mais voilà ce qui me plait c’est ce qui ne rentre pas dans une case, ce qui n’est pas marketté, bref quelque chose qui a à voir avec la littérature. Et puis avoir passé de longues années à relire, corriger, améliorer des articles m’avait fait croire qu’il suffisait d’un bon texte pour le publier. Surtout qu’en tant que rédac’ chef, mon avis suffisait pour qu’un article soit dans le journal si je l’avais jugé digne de l’être. Fini donc le rêve d’être éditeur. En tout cas fini de quémander. N.i.-ni ! Et puis une amie écrivaine qui m’appelle, qui me dit qu’elle a croisé une femme formidable qui a écrit un beau manuscrit. A peine le temps de dire « c’est fini », que je reviens sur mes résolutions. Un récit sur la maladie d’Alzheimer. Un texte magnifiquement écrit. Un regard réellement neuf sur ce fléau qui touche près de 900.000 malades sans compter leurs proches. Soyons honnêtes, la vieille règle journalistique de la « loi de proximité » a aussi joué. Cette saloperie a emporté les trois femmes de mon enfance : ma grand-mère, ma mère et ma tante. Je jette un œil au manuscrit de Cécile Huguenin et me voilà qui repique au jeu. Cette femme a pourtant tout contre elle à mes yeux : psychologue, « coach » de grand patron… Rencontre au Train bleu gare de Lyon à sa descente du train, en provenance de Besançon, comme on dit à la SNCF. Non seulement son manuscrit est bon mais elle a tout du bon client. On se retrouve quelques semaines plus tard chez elle dans le Doubs (ne t’abstiens pas). Début de l’alchimie difficilement explicable entre un auteur et un « éditeur à façon », puisque c’est ce que j’ai écrit sur mes cartes de visite, après avoir été viré de mon boulot de journaliste. Affaire de virgules, d’enrichissement d’un ou deux verbes et cette question que je lui ai jeté à la figure lors de notre première rencontre : « Il y a tout dans ce livre sauf Daniel… » Excessif mais finalement bien reçu. La confiance s’est installée. Cécile Huguenin note les petites phrases que Daniel prononce encore parfois, elle va reprendre tous ses recueils de poésie qui semblent annoncer la maladie. Le dernier chapitre a changé. « C’est ce que je n’arrivais pas à faire… » me remercie-t-elle. Après deux refus, deux éditeurs semblent intéressés. Le premier le veut et puis semble hésiter. Une amie m’a présenté à Gilles Cohen-Solal. Je déteste ce type. Me voilà raide : « Je vous passe le manuscrit ‘A deux conditions ! C’est vous qui le lisez. Et vite’. » En deux jours, le 23 décembre, il nous offre à Cécile et à moi le plus beau des cadeaux de Noël : la publication d’ Alzheimer, mon amour chez Héloïse d’Ormesson. Quelques mois plus tard nous partagerons, tous les trois, Héloïse, Gilles et moi, le deuil de Cécile, comme une famille. Les exemplaires en service de presse ont rejoint les rédactions, les premières interviews sont en boîte, des bloggeuses ont accepté de le lire. Jeudi 1 er juin, Alzheimer, mon amour de Cécile Huguenin sera en vente dans toutes les bonnes librairies.