Voici un ouvrage proprement stupéfiant. Ni livre d'histoire, ni guide comme son auteure, Julia Wertz, le précise d'emblée, il donne pourtant de la « grosse pomme » une vision totale en abordant, adossé à une documentation impressionnante, la mégapole par les détails les plus infimes.
Née en 1982 près de San Francisco, la dessinatrice s'est fixée à 25 ans dans le quartier de Brooklyn. Tout en produisant des bandes dessinées autobiographiques dont L'attente infinie et Whiskey & New York (L'Agrume, 2015 et 2016), elle a commencé à « trop picoler toute seule dans [son] appart », admet-elle en avant-propos des Entrailles de New York. Puis, arrêtant la BD, elle a, pendant deux à trois ans, photographié les bâtiments abandonnés de la ville, s'est passionnée pour son architecture et son histoire et s'est remise à dessiner jusqu'à ce que, en 2016, expulsée de son studio de Greenpoint, elle préfère rentrer en Californie, camper dans le grenier du garage de sa mère plutôt que de vivre le « véritable cauchemar qu'est la chasse à l'appartement à New York ».
C'est là, dans la douleur de l'absence, qu'est né Les entrailles de New York. Le livre propose une agrégation improbable d'images du passé et du présent de la ville, et d'histoires qui, sous des dehors anecdotiques, plongent dans son subconscient. Ces éléments épars font très vite sens. D'autant qu'une vingtaine des 60 chapitres du livre, mettant en regard des portions de rues dans une logique avant/après, viennent ponctuer l'ouvrage : Greenpoint hier et aujourd'hui, East Village hier et aujourd'hui, Time Square hier et aujourd'hui, ou encore les salles de concert des années 1970 hier et aujourd'hui, les boutiques de cigares sur Broadway hier et aujourd'hui, les night-clubs de Harlem hier et aujourd'hui, les boulangeries hier et aujourd'hui...
De son trait fin, Julia Wertz reproduit les bâtiments, le mobilier urbain, les enseignes comme les noms des produits et les messages publicitaires avec une précision maniaque, produisant un effet de fascination esthétique et documentaire. On pourra juger futile de savoir que la boutique d'accessoires automobiles de l'angle Huron Street/Manhattan Avenue dans les années 1930 a fait place en 2016 à un restaurant végétarien, le Jungle Café, devant lequel, un arbre, des vélos et une poubelle ont remplacé le lampadaire sur lequel M. Pecharsky vantait, 85 ans plus tôt, son commerce de vêtements du 1000 Manhattan Avenue. Mais de l'accumulation d'images saisies dans les quartiers jaillit peu à peu l'essence profonde de la cité, sur laquelle Julia Wertz raconte aussi des histoires vraiment inattendues.
On apprendra que le maire Fiorello La Guardia parvint, en 1942, à faire prohiber les flippers comme l'alcool et les jeux de hasard, et qu'ils rouillent par centaines au fond de l'Hudson. On connaîtra l'histoire édifiante de Madame Restell, l'avorteuse de la 5e avenue. On visitera la plus vieille pharmacie de la ville et on découvrira un guide personnel et néanmoins très riche de ses librairies. Et on ne posera plus jamais les mêmes yeux sur New York.
Les entrailles de New York : une histoire non-conventionnelle et illustrée de New-York - Traduit de l’anglais (Étast-Unis) par Aude Pasquier
Agrume
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 29 € ; 284 p. en N&B
ISBN: 9791090743922