Michael et Francis, deux frères originaires de Trinidad, dans les Antilles anglaises, ont la peau sombre et les traits noirs mâtinés d’Indien du Sous-Continent, visage de leur père qu’ils n’ont pas connu, si ce n’est en photo où il apparaît avec « la moustache si soigneusement taillée qu’on l’aurait dite peinte » et ses cheveux gominés à la Brylcreem. Ils ne font pas tache à Scarborough, banlieue bigarrée de Toronto. Ils grandissent sans le sou mais leur mère à l’accent britannique, qui court d’un bout à l’autre de la ville pour faire des ménages, veille à ce qu’ils travaillent bien à l’école et ne tournent pas délinquants comme tant de jeunes du quartier. Scarborough est surnommée Scarlem, Scompton, Scarbistan en référence respectivement à Harlem, à Compton (ghetto noir de Los Angeles) ou à la communauté musulmane. Interdit de sortir, de toucher à ci ou à ça, « Manman » est stricte, on est pauvre mais digne. Bien sûr, Francis l’aîné, suivi de son cadet, le narrateur de 33 tours de David Chariandy, brave toutes les prohibitions et entraîne Michael dans ses aventures, dans la vallée de la rivière Rouge, construisant des « forts et des cachettes dans les broussailles », bientôt aussi dans la jungle d’asphalte où évoluent les différentes « tribus ». L’adolescence arrive. On a le look. Rasé sur les côtés, pantalon baggy, langage qui prouve sa virilité, on traîne chez Desirea’s, mi-salon de coiffure, mi-boîte de nuit… Surgissent les différences?: Michael a beau singer son grand frère, ce n’est guère concluant. Une fois, ce dernier débarquant à la maison avec ses potes a surpris le frérot en train de tenter de reproduire les chorégraphies d’All night long de Lionel Richie, qui passait à la télévision. La mort violente était là depuis toujours, il y avait eu ce fait divers meurtrier qui donnait des cauchemars à Francis, enfant, que leur mère avait bien du mal à rassurer. Une émeute éclate, le maelstrom de brutalités emporte l’illusion d’une intégration paisible et ce qui restait d’enfance. A 18 ans, Francis disparaît. Quand, dix ans plus tard, Aisha, la brillante fille du lycée dont tout le monde rêvait, revient à Scarborough enterrer son père, Michael l’héberge. Il vit toujours encore avec sa mère, qui a un peu perdu la tête, mais pas l’espoir de revoir son premier-né.
33 tours est une ode pudique, formidablement bien ciselée, à ce frère aîné, qui serait à jamais pour le narrateur le héros tutélaire d’une vie précaire, sur le fil, un fil non sans tendre lumière.
33 tours - Traduit de l’anglais par Christine Raguet
Zoé
Tirage: 3 700 ex.
Prix: 19 euros ; 176 p.
ISBN: 978-2-88927-590-8