Portrait

Moïse Kissous, hors cases

Moïse Kissous - Photo Olivier Dion

Moïse Kissous, hors cases

Initiateur des 48H BD organisées ce week-end, le P-DG fondateur du petit groupe Steinkis assume le grand écart entre la bande dessinée sous licence qui a fait son succès chez Jungle et le roman graphique qu’il publie sous les labels Steinkis et Warum Vraoum.

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Par Benjamin Roure,
Créé le 07.04.2017 à 01h32 ,
Mis à jour le 07.04.2017 à 10h28

Chemise blanche, sourire décontracté, Moïse Kissous pèse ses mots quand il parle de lui et loue le talent de ses collaborateurs. Pourtant, ce sont bien son instinct et sa ténacité qui lui ont permis de construire et de diriger, à 46 ans, "le plus petit des gros groupes d’édition BD, ou le plus gros des petits, selon le point de vue" : 15 salariés et un chiffre d’affaires net de 5,7 millions d’euros sous les marques Jungle, Steinkis, Warum =Vraoum et Splash. Un sens du timing et un attrait pour le divertissement aussi, symbolisé par le portrait de Groucho Marx par Philippe Halsman accroché dans le bureau de ce passionné de photo. "Je l’ai acheté lors d’une vente aux enchères où j’étais arrivé en retard. Par bonheur, il n’avait pas été vendu."

Copain de lycée

Boulimique de lecture, le jeune Moïse préfère l’histoire et l’humour. "J’étais un rat de bibliothèque, mais je ne m’intéressais pas aux coulisses des livres. Je m’imaginais ébéniste. Ou journaliste à cause de Rouletabille." Finalement, il suit des études de commerce avec très tôt un fort engagement associatif. Chez Publicis, il travaille pendant neuf ans à l’international sur la responsabilité sociale des entreprises. "J’ai toujours su que je me mettrai à mon compte, car je ne partageais pas les valeurs du management des grands groupes", glisse- t-il. "C’est quelqu’un de profondément humain, confirme Didier Borg, patron de Delitoon et copain de lycée. La preuve, il a su garder ses équipes au fil des ans."

Avant de quitter Publicis, Moïse Kissous lance Vie & Cie, éphémère éditeur de livres d’enquêtes sur le monde du travail. "Puis, un jour, j’ai l’intuition que la série télé Caméra café pourrait faire une bande dessinée sympathique. J’appelle les producteurs, me prétend éditeur BD, et leur présente des planches réalisées avec des auteurs contactés sur le Net. Et ça plaît ! Je vais alors voir des gros diffuseurs, et Alain Flammarion me présente Louis Delas, patron de Casterman, qui voulait lancer une ligne de BD grand public." Jungle naît en 2003 de cette union à 50/50. Caméra café s’écoule à 200 000 exemplaires.

"Notre collaboration

a été très gaie"

"Nous étions complémentaires et notre collaboration a été très gaie, se souvient Louis Delas, aujourd’hui directeur général de L’Ecole des loisirs. Même s’il fallait parfois canaliser son enthousiasme…""On avait tout un segment à industrialiser, un boulevard !" ajoute Moïse Kissous.

Pourtant, la critique n’épargne pas cette "BD de supermarché". "Il a toujours été lucide, il savait qu’il ne produisait pas de grandes créations, mais s’investissait avec sincérité et sérieux", juge Serge Ewenczyk, camarade de prépa et fondateur des éditions Çà et là, qui a retrouvé Moïse Kissous alors qu’il travaillait dans le dessin animé. Les succès s’enchaînent, avec en consécration la licence Simpson. "Nous avons convaincu les Américains qu’il fallait adapter leurs BD au format français. Personne ne s’y attendait, mais ça a marché." Des millions d’exemplaires plus tard, Jungle est un éditeur qui compte. "Mais j’avais envie de romans graphiques, de créations, dit-il. Car on ne bâtit pas une maison pérenne sur des licences."

Le virage se nomme Steinkis, contraction du nom de ses parents - une Berlinoise dont les parents ont été déportés et un Egyptien ayant fui son pays enfant. "Je me suis nourri de ce mélange, l’ouverture à l’autre est dans ma nature."

La bougeotte aussi. Après l’absorption de Flammarion par Madrigall, il rachète l’intégralité de Jungle. Plus tard, l’éditeur Wandrille Leroy le rejoint en lui cédant la majorité de son label Warum. "Moïse n’est pas un éditeur au sens classique, mais il sait s’entourer. Il a une vue globale et énormément d’envies. Il adore challenger ses équipes : il faut parfois le calmer !"

Cette énergie, Moïse Kissous l’investit aussi au Syndicat national de l’édition, avec lequel il lance une étude du comportement des clients en librairie, et dans l’opération 48H BD, pour "faire sortir la BD de son rayon" et amener les jeunes à la lecture. La question de la transmission et de l’engagement apparaît toujours plus essentielle à ce père de deux enfants nés de l’union avec une avocate spécialiste des droits de l’homme. Il a d’ailleurs adhéré à la Réserve citoyenne de l’Education nationale, afin de promouvoir les valeurs de la République.

"Editeuse"

Après quatorze ans dans l’édition, cet hyperactif sentirait-il des envies d’ailleurs ? Dans le 7e art, par exemple, lui qui avait créé le Salon du cinéma à Paris ? "J’ai longtemps caressé l’idée de produire des films, mais j’ai vraiment pris goût à mon métier. Et depuis que ma fille m’a dit qu’elle voulait faire "éditeuse", je réfléchis davantage à la pérennisation de l’entreprise." Dans tous les cas, on le voit mal se reposer sur ses lauriers. Louis Delas confirme : "Quand il aura 90 ans, il continuera à développer de nouveaux trucs, c’est dans son ADN."

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