Roman/France 2 janvier Blandine de Caunes

« J'ai perdu le 1er avril ma fille unique et le 20 juin, ma mère unique. Maman est un mot qui a disparu de ma vie. Je ne le dirai plus et je ne l'entendrai plus. » Jusqu'à ce funeste 1er avril 2016, Blandine de Caunes était encore la fille aînée de Benoîte Groult 96 ans, la mère de Violette, 36 ans, la grand-mère de Zélie, 9 ans et demi. A sa place dans cette belle lignée de femmes, au sein d'une tribu privilégiée librement composée et unie. Mais par une absurde inversion de l'ordre des choses, elle a enterré son enfant puis sa mère à seulement quelques semaines d'intervalle, peu avant ses 70 ans.

La mère morte est le livre de ce double deuil, celui d'une mère partie lentement et très tard, d'une fille partie trop tôt. D'une mort normale sinon souhaitée et d'une mort « scandaleuse ». Le deuil prévisible de l'écrivaine féministe, mère énorme et adorée qui, atteinte de la maladie d'Alzheimer, avait commencé à s'éclipser trois ans avant de s'éteindre. Et le second brutal de sa fille décédée dans un accident de voiture.

Contre toute attente, ce livre, déclaration d'admiration et d'amour est un récit de vie, même s'il s'agit de fin. La première partie raconte la disparition avant la mort - « Maman en train de mourir de son vivant », le drame cru de la vieillesse qui dégénère, d'une « non-vie qui lui ressemble si peu ». C'est le deuil anticipé d'une femme dotée d'« une incroyable force vitale », qui affirmait avoir « la maladie du bonheur ». D'une mère qui s'absente à elle-même, perd la tête et son autonomie. Blandine de Caunes qui a établi et préfacé le Journal d'Irlande, carnets de pêches et d'amour 1977-2003 (Grasset, 2018), tiré des journaux intimes de Benoîte Groult, emboîte avec simplicité le pas de celle qui a écrit « sur tout, sans tabou, ni fausse pudeur » et affirmait « l'égoïsme, c'est la santé ».

La deuxième partie du récit est plus douloureuse, le chagrin y est plus sidéré. Mais en digne héritière de cette mère qui lançait, bravache, dans Mon évasion, « moi vivante, elle [la mort] ne parviendra pas à m'atteindre », sa fille s'attache à prolonger les leçons. Pour sa petite-fille Zélie, qui incarne le présent et l'avenir, elle qui appartient désormais à la « famille des affligés » célèbre avec force la vie qui continue, citant Joseph Joubert : « Le plus beau des courages, celui d'être heureux. » Benoîte serait fière d'elles.

Blandine de Caunes
La mère morte
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Tirage: 10 000 ex.
Prix: 18,50 euros ; 220 p.
ISBN: 9782234088313

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