Souvenir du Havre. Sur une plage du Havre, le corps sans vie d'un homme est retrouvé. Dans la poche de son jean, le numéro de téléphone de la narratrice, noté au dos d'un ticket de cinéma. Quand l'indicatif 02 s'affiche sur l'écran de son portable, cette dernière décroche et se dirige « telle une automate » vers la chaise la plus proche lorsque son interlocuteur décline sa fonction - « officier de police judiciaire » - et lui intime de se présenter au commissariat du Havre. Pourtant, ce n'est pas tant l'identité de cet « individu non identifié » qui la trouble, mais ce retour soudain dans la ville qui l'a vue grandir telle « une herbe folle », et dans laquelle elle n'est retournée qu'une fois. « C'est d'ailleurs d'entendre ce nom, Le Havre, c'est de l'isoler tel un petit grain dans mon oreille qui avait fait basculer l'appel. »
En face de la gare, le même bar-tabac que celui qu'elle fréquentait adolescente l'accueille, la même serveuse, les mêmes banquettes, les mêmes lycéens « qui traînent et s'accolent ici depuis que les banquettes et l'adolescence existent ». Dans le centre-ville, le Channel est toujours là, ce cinéma qu'elle longeait en allant au collège, « les yeux systématiquement tournés vers l'affiche du film de la semaine ». Le ticket retrouvé sur le cadavre vient de ce cinéma : la séance du 15 novembre pour Burn After Reading. Faut-il lire dans ce titre un message caché ? Le corps photographié par la police ne lui dit rien. Mais les lieux que ce corps a dû fréquenter avant de devenir « un vrac de membres » font se percuter le présent et le passé. Un souvenir du Havre en particulier s'impose à elle, celui d'un été radieux passé dans les bras de Craven, son premier amour, qui l'abandonne un jour de septembre sur le quai de la gare - il devait partir en voyage et l'appeler depuis son hôtel, elle n'aura plus jamais de nouvelles. Le traumatisme ravivé brouille la frontière entre désir et réalité : la narratrice chercherait-elle à résoudre, à travers cet homicide, l'énigme du silence qui lui a brisé le cœur ?
Ressac, nom masculin : « Retour brutal des vagues sur elles-mêmes, lorsqu'elles ont frappé un obstacle » (Le Robert). Alors que le fil de son intrigue se déroule à partir d'un corps non identifié, obstacle contre lequel buttent la police et l'héroïne, Jour de ressac conjugue magnifiquement l'intimité d'une femme cabossée par un chagrin d'amour avec l'impersonnelle violence de l'enquête judiciaire à laquelle elle est mêlée. Déjouant les attentes de son lecteur, Maylis de Kerangal n'érige pas ce retour au Havre (où elle a elle-même grandi) en révélation transfigurant la vie de sa narratrice − contrairement à ce à quoi la littérature nous a habitués, mais en vérité, combien d'entre nous renouant avec les lieux de leur enfance sont-ils frappés d'une épiphanie ? − mais tisse un récit à la poésie brute, à l'image de la ville dont il est inspiré. Tourné vers la mer, Le Havre devient sous sa plume le lieu où s'écrit la dérive du monde, entre trafic de drogue et plages éclaboussées de mazout, que des pelleteuses géantes s'emploient à niveler après chaque grande marée, autre métaphore de nos vies malmenées.
Jour de ressac
Verticales
Tirage: 60 000 ex.
Prix: 21 € ; 256 p.
ISBN: 9782073054975