12 février > Biographie France

Traducteur, auteur d’essais sur Camus, Sartre et Simone de Beauvoir, Jean-Luc Moreau s’est lancé dans une singulière aventure : une biographie de Pierre Herbart (1903-1974), personnage dont la complexité a dû en décourager plus d’un.

Comment cerner un tel homme, qui semble avoir eu plusieurs vies ? Rejeton d’une famille bourgeoise de Dunkerque, il a plutôt suivi "l’exemple" de son père, rebelle devenu clochard. Herbart ne sera jamais vraiment "calé" dans l’existence et professera un mépris princier à l’égard des biens matériels. Du moins ceux des autres, puisqu’il a toujours vécu aux crochets de ses pygmalions successifs : Lyautey, dès son service militaire au Maroc, puis Cocteau, rencontré en 1924 et supplanté par Gide en 1929 ; de son éditeur, Gallimard, puis, dans ses dernières années, sordides, pathétiques, de ses amis fidèles qui l’ont soutenu jusqu’au bout. En particulier Claude Mahias et Jean-Pierre Vivet, cofondateurs du Bulletin du livre, l’ancêtre, avec la Bibliographie de la France, de Livres Hebdo.

André Gide, sans conteste, fut le grand homme de la vie d’Herbart, celui sans qui rien n’aurait été possible. Dès l’abord, le jeune homme séduit et amuse son aîné, qui l’introduit dans son premier cercle, parmi ses intimes, sa famille d’élection. Ainsi, en 1931, Herbart se marie avec Elisabeth Van Rysselberghe, fille de la Petite Dame et mère de Catherine, la propre fille de Gide. La relation, plus que tumultueuse, s’acheva par un divorce en 1968, Elisabeth et Catherine cessant toute relation avec un être à qui elles reprochaient grivèlerie, embrouilles, ivrognerie, addiction à l’opium et infidélités : non point ses diverses liaisons avec des garçons, mais plutôt sa love affair avec une autre femme, Charlotte Aillaud.

Du point de vue littéraire, c’est Gide, grand gourou de La NRF, qui a imposé Herbart chez Gallimard dès 1931 et Le rôdeur, que Schlumberger, qui détestait Herbart, considérait comme "du sous-Cocteau ". Mais Gide a tenu bon, allant jusqu’à préfacer, en 1939, Le chancre du Niger. Il lui présente aussi ses amis, Camus, Malraux, Martin du Gard… On peut estimer que c’est Herbart, alors communiste militant, qui a encouragé Gide à s’engager, jusqu’au voyage en URSS - Herbart et Elisabeth en furent, qui vivaient à Moscou - mais que c’est Gide qui l’a aidé à prendre conscience de leur erreur commune.

L’œuvre d’Herbart existe, moins géniale que ses thuriféraires ne le prétendent. C’est d’un petit maître, pas d’un grand écrivain, dont il avait cependant sans doute l’étoffe : mais trop de complaisance, de jeu. Ce qu’on sait de lui provient de ses livres, largement autobiographiques, du Journal et des correspondances de Gide, des Cahiers de la Petite Dame, et de témoignages plus ou moins fiables - comme les ragots de Brenner et d’Henri Thomas. Jean-Luc Moreau a tenté de démêler ce "misérable petit tas de secrets", selon la formule de Malraux, avec conscience et sérieux.

J.-C. P.

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