« Dois-je raconter ce qui ne devrait pas l'être ? ». La réponse est indéniablement oui, quand on est un écrivain qui aime plonger dans l'Histoire inavouable et les plaies de son pays. De sa plume sublime et ciselée - quasiment privée de majuscules -, Mathieu Belezi continue à sonder les Furies qui l'habitent. À savoir, de quoi l'humanité est-elle capable sur une terre déchirée ? Son nouveau roman nous entraîne au XIX^e siècle, au moment où l'idéologie française encourage cinq cents braves gens à faire un voyage inimaginable : traverser la mer pour rejoindre un paradis prometteur, l'Algérie. « le gouvernement de la République veillera sur vous comme un père veille sur ses enfants. » Il n'en est rien... Séraphine et les siens vont au contraire se heurter au pire. « sainte mère de Dieu », comment affronter des conditions aussi rudes, une météo aussi extrême et un accueil aussi hostile ? « de colonie agricole en colonie agricole vous vous cramponnez à cette terre si ingrate à pleines mains vous la sortez des ténèbres. »

La réalité est telle que les pauvres colons sont confrontés à leurs pires démons. Le choléra ou la violence n'épargnent personne et les obligent à s'interroger sur leurs vraies valeurs, leur foi ébranlée ou la puissance de leurs désirs. « notre impression d'avoir perdu la presque totalité de notre âme nous empêchait de trouver un réel sens à notre présence sur cette maudite terre d'Algérie. » Bientôt, la fatalité l'emporte, pourtant il n'est pas question de baisser les bras face à l'adversité ou le devoir de survie. Une position qu'adopte aussi une troupe de soldats français venus mettre au pas les autochtones. « non, nous ne sommes pas des anges », constatent-ils aussi rapidement qu'amèrement. Rien ne les avait préparés à ce combat, œil pour œil, dent pour dent. « c'est mal connaître la barbarie que de croire l'homme capable d'en venir à bout. » Et pourtant, la beauté de ce texte puissant préserve des îlots d'espoir, d'amour et de lumière. L'envie de conquête se heurte à celle de repousser la haine, afin de faire fructifier la vie. Tous les mythes se brisent, si ce n'est celui de « nous rappeler l'atroce vérité de nos vies humaines qui n'avaient jamais tenu et ne tiendraient jamais qu'à un fil. »