Avant-critique Roman

Martin Suter, "Melody" (Phébus)

Martin Suter-Presse bild - Photo © Marco Grob

Martin Suter, "Melody" (Phébus)

Entraînant un jeune juriste sur la piste d'une mystérieuse femme disparue, l'écrivain suisse allemand Martin Suter rappelle qu'il ne faut jamais se fier aux apparences.

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Par Anne-Claire Norot
Créé le 22.12.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 02.01.2024 à 12h27

Faux-semblants. Tom Elmer, jeune diplômé en droit, trouve un travail chez Peter Stotz, un vieil homme extrêmement riche qui en son temps régna sur les affaires et la politique zurichoise, voire de la Suisse entière. On tira même de son nom le verbe « stotzer », soit « activer son réseau de relations pour faire influer une décision en [sa] faveur ». Stotz attend de Tom qu'il mette ses affaires en ordre et devienne son exécuteur testamentaire. Surtout, le jeune juriste devra détruire les papiers ne correspondant pas à l'image que son employeur veut laisser de lui après sa mort. Rapidement, le tri de documents devient secondaire. Stotz semble en effet surtout vouloir une oreille attentive à qui raconter la grande histoire de sa vie : son amour fou pour Melody, une jeune libraire de vingt ans sa cadette, d'origine marocaine, qui a disparu la veille de leur mariage et qu'il a passé le restant de sa vie à chercher en vain. Tom finira par se lancer à son tour dans cette quête.

L'écrivain suisse de langue allemande Martin Suter, dorénavant chez Phébus après avoir longtemps été publié chez Bourgois, réitère ici ce en quoi il a toujours excellé : amener le lecteur là où il ne s'y attend pas. Multipliant fausses pistes et détails énigmatiques, entremêlant le présent et le passé (l'histoire de Melody, que Stotz dévoile un peu chaque jour), entretenant le doute sur les motivations de ses personnages, Martin Suter fait lentement monter la tension. Avec son style toujours aussi limpide et ses descriptions précises (les alcools fins ! les repas italiens !), il installe un climat troublant qui renforce le mystère. De son œil ironique et distant, il observe ce monde des riches et des puissants qui ne doutent de rien, surtout pas de leur pouvoir sur les autres, qui n'envisagent pas un instant qu'on leur résiste (voir le comportement étouffant de Stotz avec son entourage, notamment avec Tom, qu'il loge, nourrit, habille, incite à boire...). Enfin, avec ses récits dans le récit, Martin Suter livre une réflexion sur le souvenir et les apparences, sur le mensonge et les petits arrangements avec la vérité. « Je préfère résolument la fiction à la réalité », avoue Stotz à Tom au début de leur collaboration. Martin Suter, ou la mise en abyme du storytelling.

Martin Suter
Melody
Traduction Olivier Mannoni
Phébus
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 23 € ; 368 p.
ISBN: 9782752913869

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