Au Love Hotel, en cette fin d’hiver, le narrateur, un écrivain étranger installé à Kyoto, retrouve le temps d’un après-midi son amante Natsumi, une femme mariée. On est au Japon, et c’est Christine Montalbetti qui, après L’évaporation de l’oncle (P.O.L, 2011), est pour la seconde fois le guide dans ce pays qui lui va si bien. Alors on sait que ce sera doux, flottant, complice, un peu joueur.
Ce n’est pas une journée comme une autre, mais ça, le lecteur le découvrira dans les dernières lignes, et « pour l’instant », comme disent les premiers mots du roman, on n’a pas envie d’accélérer le temps. Ce moment suspendu entre deux saisons, deux vies, deux corps, dans la chambre 302 aux murs aveugles, qui préserve un petit cocon clos, étanche. On préfère rester dans la parenthèse : marcher le long de la rivière Kamogawa, sourire en visitant les chambres sur la borne de l’hôtel sans réceptionniste, regarder les cyclistes de la fenêtre de la petite maison traditionnelle louée par le narrateur, sourire encore en détaillant les sex-toys dans le tiroir, plonger dans un bain, et se laisser raconter différentes versions de vieux contes tristes, comme celui du pêcheur et de la fille du dragon roi des mers, « une histoire de fils prodigue encore, je crois ». On se sent ainsi enveloppé dans ces étreintes sourdes, ces émotions vibratiles où l’érotisme pourtant cru est délicatement ouaté, comme amorti. La présence à l’autre, au monde, est encore une fois tissée d’absence au monde, à l’autre. Vaporeuse est la mélancolie, se déposant délicatement sur l’humour même, planante comme une prémonition. Il y a la mélancolie du silence, de l’impossible coïncidence avec le dehors et celle du pêcheur du conte qui ne retrouve rien de son village quitté, lorsqu’il revient du palais de la mer. La mélancolie de la volatilité de l’instant. « Je pense à cette pulsion folle d’essayer de retenir ce qui s’enfuit »… A la fin, on relira tout, et plus rien dans l’air ne frémira pareillement.
V. R.