Avant-critique Récit

Mark O'Connell, "Sur le fil de la violence" (Stock)

Mark O' Connell - Photo © Rich Gilligan

Mark O'Connell, "Sur le fil de la violence" (Stock)

Quand l'écrivain et journaliste Mark O'Connell découvre qu'il fréquente les mêmes cercles littéraires qu'un meurtrier sorti de prison, l'idée de percer le mystère entourant son histoire vire à l'obsession.

Parution 3 septembre

J’achète l’article 1.5 €

Par Laëtitia Favro
Créé le 04.09.2025 à 09h00

Mon voisin, ce tueur. En 1982, un double meurtre défraie la chronique en Irlande. Figure de l'intelligentsia dublinoise, Malcolm Macarthur, né en 1945, massacre à coups de marteau une infirmière nommée Bridie Gargan et tire à bout portant sur Donal Dunne, un agriculteur auquel il vient d'acheter un fusil qui doit lui servir à commettre un braquage. Comment cet homme issu d'une famille de propriétaires terriens, séduisant, érudit, qui fréquentait les bars les plus chics de la capitale et lisait son exemplaire du Monde en sirotant un verre de vin, avait-il pu commettre un tel acte ? Acculé, Macarthur s'était retranché dans le luxueux appartement d'un ami, Patrick Connolly, procureur général d'Irlande et homme politique de premier plan, bientôt accusé d'avoir protégé l'assassin. Le scandale lui coûtera sa carrière.

Mark O'Connell a 9 ans lorsqu'il entend pour la première fois parler de cette affaire. Ses grands-parents étaient des voisins de Connolly et de l'appartement où Macarthur avait été arrêté par la Gardaí. « Rabâchée dans tous ses détails sordides », l'histoire de Macarthur fascine O'Connell. Devenu écrivain et journaliste, il se met en tête d'en « percer le silence mélancolique ». Macarthur est libéré de prison en 2012. Le croisant à plusieurs reprises dans Dublin, Mark O'Connell découvre qu'il fréquente les mêmes cercles littéraires que lui et finit par l'aborder. Macarthur vit dans un petit appartement sombre, avec un poste de télévision et une vitrine contenant ses livres empaquetés dans des sacs--poubelle noirs attachés avec du ruban adhésif. « Étrange méticulosité », si l'idée est de les protéger de la poussière, comme le prétend l'occupant des lieux. Au fil de leurs entretiens, O'Connell compile les souvenirs de Macarthur dans l'espoir de comprendre. Mais quand il s'agit de revenir sur les meurtres de Bridie Gargan et Donal Dunne, la « mémoire exceptionnellement vive et puissante » du vieil homme semble lui faire défaut, « comme s'il essayait de se rappeler un rêve dont il vient de se réveiller ou les détails d'un roman qu'il a lu il y a longtemps ».

Questionnant l'ambiguïté de la relation entre un écrivain et son sujet lorsque celui-ci s'avère être un meurtrier, Janet Malcolm écrivait en 1990 dans Le journaliste et l'assassin (François Bourin Éditeur, 2013) : « L'auteur de livres de fiction est maître de sa maison et peut y faire ce qu'il veut ; il peut même la démolir si ça lui chante. Mais l'auteur de livres de non-f-iction n'est qu'un locataire, et doit se conformer aux conditions stipulées sur son bail : il y est dit qu'il doit laisser la maison - en l'occurrence, les faits - dans l'état où il l'a trouvée. » Luttant contre la tentation de faire de Macarthur un « personnage », O'Connell tente de « pénétrer sous la surface du biographique » et de ne pas céder à l'esthétisation de son récit. Témoin de l'oppressant jeu de pouvoirs qui se noue entre l'écrivain et son sujet, le lecteur remonte le fil d'une violence à première vue incompréhensible, au cœur d'une Irlande elle-même secouée par les attentats. À son tour, il se sait irrémédiablement impliqué dans une affaire posant la dérangeante question de ce que peut la littérature face au mal.

Mark O'Connell
Sur le fil de la violence
Stock
Traduit de l’anglais (Irlande) par Charles Bonnot
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22,50 € ; 320 p.
ISBN: 9782234097131

Les dernières
actualités