Cogner le silence. Dans ce très beau texte composé à quatre mains, les poètes Samira Negrouche et Marin Fouqué traduisent le choc d'une rencontre, « l'avalanche des corps, le vibrato des cages, la percussion des torses » dans une ville méditerranéenne en forte pente. « Les pentes mènent toujours quelque part, c'est même à ça qu'elles servent les pentes dans les villes. » Écrites au printemps 2024, soit soixante-dix ans après le début de la guerre d'Algérie, ce sont deux histoires contemporaines qui se croisent, chargées d'un héritage fait de tabous, de non-dits, de préjugés, de racisme, de violences et de tortures passées mais ayant laissé des traces indélébiles. Sous le soleil brûlant d'une cité maritime, les poètes, l'une algérienne et l'autre français, brisent le silence ravageur qui pèse sur l'histoire commune de leurs pays, liés par des années de colonialisme, de guerre et d'exils. Ce « beau silence impeccable / [...] bien correct / [...] comme il faut/ [...] en forme de shlass » autour duquel les voix s'entremêlent et où les histoires intimes se font écho, ce silence qui souvent cache une colère ou une tristesse enfouies comme un couteau bien gardé, comme un poing serré au fond de la poche, est ici rompu par ce dialogue sans fard et des mots qui sortent de leur planque. « On a tout un peuple sur le dos tout le temps / le peuple vivant et celui qui a précédé le peuple / je suis née dans un Nous interdépendant / un Nous qui a encore beaucoup de choses à dire. » Sur quels mots peut-on s'arrêter, lesquels laisser glisser, lesquels encore seraient à rejeter ? « Un Nous t'habite / un Nous t'interroge / et l'Arabe du coin ma foi / il a bon dos / il a bon dos ! »

Pente raide se donne à lire comme le cheminement vers une réparation, un point de suture sur la relation franco--algérienne, pour sortir du mensonge et de l'exclusion en créant un langage et en posant ces mots sur cette histoire aux plaies encore vives. Ce que construisent Samira Negrouche et Marin Fouqué au cœur de leurs réflexions sur la relation contemporaine entre l'Algérie et la France, c'est un pont. Un pont pour faire communiquer deux rives et aider à resserrer leurs liens tout en gardant toujours à la mémoire les blessures, les trahisons, les manquements, à pardonner. Ils se parlent aussi du racisme qui persiste aujourd'hui : « Si on te dit qu'on ne vous aime pas / c'est qu'on rêverait la réciproque / c'est qu'on espère que l'Arabe n'en ait pas fini de la guerre / et qu'il fasse encore le sale boulot à notre place/ le sale boulot de la haine, le sale boulot de la rage / le sale boulot de la colère ou mieux : le sale boulot du pardon. » En grimpant et en dévalant les pentes de leur dialogue poétique, Samira Negrouche et Marin Fouqué explorent les vertiges, les joies et les tristesses de la rencontre, de l'échange et de la reconstruction, par le langage, avec l'autre, l'étranger, le frère que l'histoire a pourtant présenté comme un ennemi à abattre, à juger, à rejeter. « Il ne faut pas que la langue échoue. »