Cinquante ans après sa mort, survenue le 4 août 1962 dans sa villa de Los Angeles et jamais vraiment élucidée, Marilyn Monroe fascine toujours, et vit encore. De plus en plus même, depuis que, par-delà le phénoménal corpus de légendes qui s'est fabriqué autour d'elle, ante ou post mortem, un certain nombre d'entreprises éditoriales visent à restituer cette femme à la personnalité bien plus complexe - et bien plus intéressante - que d'aucuns ont voulu le faire croire, au plus juste, au plus près. Il y eut d'abord la biographie exemplaire de Donald Spoto, publiée en français en 1993 par les Presses de la Cité, la première à ne pas verser dans tous les clichés, tous les fantasmes. Notamment à propos de sa mort, qui semble n'avoir rien d'un assassinat commandé par le président Kennedy ! Puis les écrits de Marilyn elle-même : Fragments : poèmes, écrits intimes, lettres (Seuil, 2010), qui démontrent qu'elle était tout sauf une "ravissante idiote". Mais une grande lectrice - on a trouvé dans sa bibliothèque plusieurs centaines de volumes des plus grands auteurs américains, mais aussi Dostoïevski ou Saint-Exupéry - et un écrivain possible : même s'il faut se garder de tomber dans l'excès inverse et d'en faire un génie méconnu. On attend prochainement ses dessins.
Et puis voici le Monroerama imaginé par Françoise-Marie Santucci. Journaliste à Libération depuis 1992, notre consoeur y est aujourd'hui rédactrice en chef du mensuel Next. Experte en la matière, elle a conçu son livre-album comme un magazine, grâce à la virtuosité du graphiste Olivier Andreotti. Son ambition : réaliser "un puzzle" collectif, "une sorte de tableau abstrait où chacun des contributeurs" - écrivains comme Jerome Charyn, Bruce Benderson, Marie Darrieussecq, Maylis de Kerangal, Cécile Guilbert ou Ann Scott, universitaires comme Michel Contat ou journalistes -, "apporterait sa touche ». Soit un éclairage sur tel aspect de la vie ou de la carrière de Norma Jeane Mortensen, soit un ressenti personnel.
Dès son entrée en matière, Françoise-Marie Santucci, qui a écrit elle-même une bonne partie de son livre, en pose les bases. Ce qui l'intéresse en Marilyn, c'est "l'héroïne prolétaire", la "femme née moins que rien et devenue plus que tout". Ses 36 ans de vie, et ses "50 ans de mort", durant lesquels on a dit ou écrit à son sujet à peu près tout et n'importe quoi.
A propos de sa liaison "torride" avec "les" Kennedy, par exemple. En fait, elle n'a passé qu'une seule nuit d'amour avec JFK, le 24 mars 1962, ainsi que le rappelle Michel Contat, se fondant sur les preuves minutieusement apportées par la biographie de Spoto. Quant au jeune Robert "Bobby" Kennedy, le frère du Président, ils ne se sont vus que quatre fois, et toujours en public. Marilyn n'a jamais été sa maîtresse.
Outre la chasse aux idées reçues plus ou moins bienveillantes, aux faux témoignages intéressés, Monroerama revient sur certains épisodes oubliés de cette histoire. Qui se souvient qu'en 1958-1959 Sartre écrivit pour Hollywood le scénario d'un film sur Freud et les débuts de la psychanalyse ? Le philosophe s'était laissé convaincre, parce que Marilyn Monroe devait figurer au casting, incarnant Cecily, la patiente du docteur. Le film, tourné par John Houston, devint Freud, désirs inavoués. Mais Marilyn ne joua pas dedans et Sartre a fait retirer son nom du générique.
Très infographique avec plans et schémas, très visuel avec de nombreuses photos, très inventif dans la mise en page, Monroerama est un livre inclassable, pop et "ultra-contemporain", une belle réussite. Même pour ceux qui ne sont pas particulièrement fans de Marilyn.
