Les amants du Tibre. Dans le compartiment d'un train de nuit pour Milan, une jeune femme tourne la page d'une vie subie pour écrire celle de l'existence qu'elle s'est choisie. Elle est brune, élégante, et se prénomme Lucia. Dans son ventre grandit l'enfant de son amant, Giuseppe. Dans sa valise, le strict nécessaire : sa robe préférée, marron à petites fleurs, et ses gants de mariée. « Sa vie d'avant, réduite à l'os. Elle se meut au bord d'un abîme, qui peut être tragique ou radieux. » Leur première nuit à Milan enclenche le décompte des trois cents dernières nuits qu'il leur reste à vivre. Le 27 juin 1965, le corps de Lucia est repêché dans le Tibre, deux jours avant celui de Giuseppe. Acculé par la loi italienne, le couple adultère a préféré se donner la mort plutôt que de céder devant une justice archaïque. Leur petite fille est retrouvée dans le parc de la Villa Borghèse, à Rome, où ils l'ont abandonnée avant de se jeter dans le fleuve.
Les gants de mariée de Lucia seront remis à sa fille quinze ans après cette tragédie, parmi les quelques bribes d'une vie détruite à partir desquelles Maria Grazia Calandrone retrace la trajectoire de sa mère. Une enfant non voulue, mal- aimée, que l'on marie contre sa volonté au fils des voisins, « nigaud lunatique et inepte qui, dès le réveil, accompagne son café d'un petit cognac ». Battue, affamée par une belle-famille qui en fait sa domestique, Lucia se révolte et s'enfuit avec Giuseppe. Luigi, son époux légitime, dépose une plainte. Le droit italien de l'époque considère qu'une femme encourt une peine d'emprisonnement dès lors qu'elle trompe son mari - alors que l'infidélité d'un époux « n'est punie que dans le cas où l'homme cohabite "dans la maison conjugale ou notoirement ailleurs" avec sa concubine ». Lucia et Giuseppe ne peuvent faire famille au regard de la société, et leur fille naît illégitime. Avec leurs dernières économies, ils achètent un aller simple pour Rome. Pour son dernier voyage, Lucia a choisi la robe marron à petites fleurs, celle qu'elle avait rangée dans sa valise pour Milan en rêvant à d'autres possibles. « Quelqu'un, peut-être, se les rappelle encore. Cette mère brune, son compagnon aux allures de père et un nourrisson dans les bras, à jamais immobiles dans le fluor d'un crépuscule industriel », espère Maria Grazia Calandrone en recherchant les derniers témoins de cette histoire d'amour malheureuse. Digne et poignant, son récit, finaliste du prix Strega 2023, brosse le portrait d'une femme réduite à l'état de fait divers pour avoir voulu être libre. « Ce n'est pas ce dont nous avions rêvé, écrit-elle. Ce soupir traverse l'Histoire, prononcé dans toutes les langues et tous les dialectes du monde avec le même chagrin, la même rage, la même résignation, comme si nous étions tous la même personne. »
Ma mère est un fait divers
Globe
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 22 € ; 368 p.
ISBN: 9782383613008