Voici une aventure qui, grâce à la révolution technologique (satellites espions, drones, réseaux sociaux), serait impossible aujourd'hui. Il est vrai qu'elle remonte à la préhistoire, à savoir Mai 68. A la toute fin de ce « joli mois »-là, alors que la France était en train de connaître son plus vaste mouvement social depuis le Front populaire, certains rêvaient déjà d'une révolution. L'Etat semblait complètement impuissant, voire absent, entre un Président vieillissant (78 ans) dont les adversaires estimaient que « dix ans au pouvoir ça suffit », un Premier ministre, Georges Pompidou, à la marge de manœuvre très limitée et, conseillé par quelques bonnes âmes, tenté de jouer sa carte personnelle, de s'affranchir du « Vieux » et, qui sait ? de lui succéder. L'Elysée était en déshérence, où régnait une espèce de roi Lear bien solitaire (à l'exception de quelques grognards, comme Jacques Foccart), et Matignon grouillait dans tous les sens, de flatteurs, d'arrivistes ou, simplement, de ministres dépassés par les fameux « événements ».
C'est alors que, du 28 au 30 mai, De Gaulle disparaît. Dans le plus grand secret, avec sa famille et quelques proches répartis dans trois hélicoptères (quand même, que faisaient les radars ?), il feint de partir pour sa retraite de Colombey afin de réfléchir et de préparer une riposte. On se ravitaille à Saint-Dizier, comme d'habitude, et la petite armada reprend son vol vers... l'Allemagne ! Baden-Baden, en l'occurrence, base française depuis la guerre, dirigée par le général Massu, un baroudeur, un para, avec qui de Gaulle a eu des différends par le passé (sur l'Algérie française, par exemple), mais sur l'absolue fidélité de qui il sait pouvoir compter. Alors, après un coup de blues où le « grand Charles » craque, une option militaire est envisagée : marcher sur Paris, quitte à tirer sur la foule. Heureusement, ce moment de folie sera passager. Massu convainc de Gaulle à sa façon : « Vous ne pouvez pas déserter. » Et le vieux soldat regagne son poste, cause à la radio quatre minutes, le 30 mai à 16 h 30, avec une énergie renouvelée. Et illico, un million de gaullistes, Malraux et Debré en tête, marchent vers l'Arc de Triomphe. Tout ça avait de l'allure et la suite est connue.
Journaliste, documentariste, intellectuel fasciné par le pouvoir qu'il a approché de près plusieurs fois, Georges-Marc Benamou, alors qu'on s'apprête à commémorer la mort de De Gaulle l'an prochain, s'est fait le mémorialiste de cette tragicomédie que nos actuels politiques feraient bien de méditer.
Le Général a disparu
Grasset
Tirage: NC
Prix: 18 euros ; 240 p.
ISBN: 9782246817895