Ne lui parlez plus de Rika Zaraï. La chanteuse populaire, née à Jérusalem en 1938 et arrivée en France à la toute fin des années 1950, contribua pourtant à lancer son activité d’éditeur. Mais Michel Lafon préfère "tourner le dos" à cette partie-là de sa carrière. Trente ans plus tard, pourtant, l’épopée de sa Médecine naturelle mérite encore d’être contée.
Rika Zaraï s’est fait connaître du public français dès le début des années 1960, mais c’est en 1969 qu’elle décroche son premier tube, Casatschok. La même année, le 9 novembre, elle est victime d’un grave accident de voiture. Après plusieurs jours de coma, elle se réveille dans une sorte de sarcophage de plâtre. Les médecins doutent qu’elle puisse remarcher un jour. Des amis lui font rencontrer un naturopathe, Raymond Dextreit, qui entreprend de la soigner à sa façon. Inconnu au bataillon de la science officielle, Raymond Dextreit est l’auteur de L’argile qui guérit, l’un de ces long-sellers silencieux, dont la grande presse n’a jamais parlé, mais qui n’en ont pas moins creusé durablement leur sillon dans la glèbe hexagonale. L’ouvrage est paru pour la première fois en 1952 aux éditions Vivre en harmonie, fondées par l’auteur. Ses rééditions ne se comptent plus et les plus récentes évoquent le million d’exemplaires vendus. A en juger par la notoriété du livre dans les forums de discussion sur Internet ayant trait à la naturopathie, ce chiffre semble plus que plausible.
Effet placebo ? Vertige de la foi ? Bienfaits des plantes ? Toujours est-il que le "miracle" opère : au bout de quelques mois, Rika Zaraï peut enfin quitter sa gangue de plâtre et reprendre sa carrière, qui sera couronnée quelques années plus tard, en 1975, d’un autre grand tube, Sans chemise, sans pantalon. Les années 1980 lui sourient moins : la chanteuse, jugée "ringarde", disparaît des écrans télé. La voilà riche de temps libre. Elle entreprend alors de mettre de l’ordre dans les fiches de recettes "santé" qu’elle a accumulées depuis plus de dix ans.
Conversion à la naturopathie.
Persuadée que c’est Raymond Dextreit qui l’a sauvée, et non la médecine conventionnelle, Rika Zaraï s’est convertie à la naturopathie. Et elle veut faire profiter le public de sa conviction. Plusieurs éditeurs refusent son manuscrit. Aucun ne veut prendre le risque de perdre sa chemise (et peut-être son pantalon) pour lancer un ouvrage signé d’une chanteuse has been et assurant que les bains de siège sont souverains pour guérir de la déprime. Il s’en trouve quand même un pour relever le défi : Michel Lafon. Après avoir réussi une première carrière dans la presse showbiz (le journal Podium, à la gloire de Claude François, qui possédait la moitié des parts), il est devenu responsable des éditions pour la jeunesse chez Hachette Livre. En 1980, il crée sa propre maison : des gros livres qui tiennent debout tout seuls, avec d’épaisses couvertures, signés par des vedettes. Il a ouvert lui-même le bal avec les Mémoires de Julio Iglesias, qu’il avait recueillies au magnétophone : plus d’un million d’exemplaires vendus. En 1984, La valise en carton de Linda de Suza (écrit par Françoise Verny) dépasse également le million d’exemplaires. Michel Lafon aime les coups de poker. Rika Zaraï sera l’un de ses plus fameux : mise minimum, rapport maximum. L’à-valoir ne fut sans doute pas mirobolant. La rétribution du "co-auteur" dérisoire : "J’ai touché 30 000 francs, soit à peine 5 000 euros, assure Dan Franck. A l’époque, Dan Franck n’est pas encore un romancier reconnu et, pour faire bouillir la marmite, il multiplie les travaux d’écriture. Il est si peu convaincu que l’ouvrage de Rika Zaraï puisse se vendre qu’il ne demande aucun intéressement. Bien mal lui en prend. Aurait-il seulement négocié 0,5 % de droits d’auteur, l’aventure lui aurait rapporté, au bas mot, 150 000 euros. Une somme rondelette qui aurait été la bienvenue, alors qu’il traversait une période agitée de son existence - mais, de cela, lui non plus ne veut plus parler : décidément ! Devant le succès du livre, Jean-Claude Zylberstein, qui était son avocat, lui proposera d’intervenir auprès de Michel Lafon pour tenter d’obtenir une compensation : "J’ai refusé, raconte Dan Franck. En revanche, Michel Lafon m’avait promis un voyage."
Face à Polac.
Ma médecine naturelle paraît en février 1985. Personne n’y croit. Ni la presse, ni les libraires. Mais il va suffire de quelques émissions de "variétés" dans lesquelles apparaît Rika Zaraï pour lancer le livre. La chanteuse est la meilleure ambassadrice d’elle-même. Les chroniqueurs font des gorges chaudes des fameux "bains de siège" ? Elle n’en a cure - si l’on ose dire. Alors que Ma médecine naturelle plastronne déjà dans les meilleures ventes, Rika Zaraï est invitée à "Droit de réponse", l’émission de Michel Polac, où elle est opposée à un aréopage de sommités médicales, bien décidées à la ridiculiser. L’émission est pour ainsi dire à charge. A un moment, apparaît même, sur l’écran, un dessin ("Droit de réponse" fut la première émission à faire intervenir des caricaturistes qui réagissaient en direct) ainsi légendé : "Contre le ténia, faites des bains de siège de plantes carnivores ". Rika Zaraï fait front avec un calme olympien, et prend les téléspectateurs à témoin. Le lundi matin, c’est la ruée dans les librairies.
"Elle y croyait réellement, témoigne Dan Franck. Elle avait amassé à son domicile des centaines de livres consacrés aux plantes. C’était de l’ordre, pour elle, du messianisme." Le livre, du reste, n’est pas qu’une simple enfilade de recettes de décoctions : la chanteuse y revient sur son accident de voiture, sa longue rééducation et la litanie de plantes qui l’ont accompagnée dans ce chemin de croix victorieux. L’importance donnée au récit autobiographique n’a pas peu contribué à ce succès de librairie qui paraissait venu de nulle part, alors qu’en réalité il s’enracinait - si l’on ose encore dire - très profondément dans le vécu de Rika Zaraï. Et puis, c’était une vedette - même si sa gloire était un peu passée - à qui il était arrivé un drame très commun : la part d’identification a joué aussi son rôle. Les esprits cartésiens la condamnaient, mais pour le grand public, elle était crédible.
Exercice illégal de la pharmacie.
D’ailleurs, "elle n’a pas gagné un sou avec ce livre", souligne Dan Franck. En effet, dès 1986, Rika Zaraï investit ses faramineux droits d’auteur dans la création d’une société de distribution de produits naturopathes, Pronatura, dans laquelle elle a tenu à ne recruter que des anciens chômeurs. Et, comme elle veut rendre ses produits accessibles au plus grand nombre, elle décide de les vendre en grandes surfaces. La réaction des pharmaciens, courroucés, ne se fait pas attendre. Leur Ordre national porte plainte. En janvier 1989, Rika Zaraï est condamnée pour "complicité d’exercice illégal de la pharmacie". Pronatura mettra la clé sous la porte en 1991. Entre-temps, la chanteuse, titillée par d’autres éditeurs, a "exploité" le filon. Lattès la récupère en 1988 et publie Mes secrets naturels pour guérir et réussir. Cette fois, Rika Zaraï aborde le sida, et assure qu’on peut le guérir avec des bains d’argile, des décoctions de buis et des "pensées positives". Tollé général. Elle retirera finalement les pages contestées. En janvier 1989, nouveau livre, chez Jean-Pierre Taillandier : Mes recettes saines et gourmandes. Elle reviendra chez Michel Lafon en 1995, pour Ces émotions qui guérissent. En théorie, c’était toujours Dan Franck qui était à la manœuvre. En théorie. "En fait, j’étais lassé et, après le deuxième livre, j’avais refilé la copie à un ami qui avait besoin d’argent", avoue aujourd’hui Dan Franck.