Récit

Lydia Flem, «Paris Fantasme» (Seuil) : Je vous salue, ma rue

Lydia-Flem - Photo © Vasantha Yogananthan/Seuil

Lydia Flem, «Paris Fantasme» (Seuil) : Je vous salue, ma rue

Psychanalyste, photographe, Lydia Flem consacre un livre hybride à des lieux de mémoire, surtout la rue Férou. Tirage à 5200 exemplaires.

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Par Jean-Claude Perrier,
Créé le 03.03.2021 à 17h56

Salvador Dalí, en pleine période « paranoïa-critique », avait fait de la gare de Perpignan le centre du monde. Toutes proportions gardées, Lydia Flem applique la même méthode à une rue de Paris, anodine en apparence, la rue Férou, dans le 6arrondissement. Une venelle de 144 mètres de long, qui relie aujourd'hui la place Saint-Sulpice au jardin du Luxembourg. Ou, plus exactement - et ces précisions ont toute leur importance dans l'entreprise de l'auteur, qui fournit, à la fin de son livre, un plan du quartier en question -, la rue Férou actuelle prolonge, depuis 1936, la courte rue Henry-de-Jouvenel - l'ex-mari de Colette, qui a vécu un temps au 6, dans l'hôtel de Luzy, le plus somptueux, propriété de Jean-Jacques Goldman depuis 1996 -, laquelle l'a amputée de ses numéros 1, 2 et 3 et débouche dans l'actuelle rue de Vaugirard, face aux grilles du musée du Luxembourg. D'ailleurs, les numéros 10 et 17 de la rue Férou n'existent que virtuellement. Leur accès se fait par les 50 et 48 de la rue de Vaugirard.

Une bien curieuse rue, héritée du Paris médiéval - elle doit son nom au magistrat Étienne Férou, procureur à la Cour et propriétaire de tout le « clos » de l'époque, soit quatre arpents, blottie au cœur du village de la rive gauche, discrète, à la fois aristocratique, intellectuelle et pieuse : elle est toute proche de l'église Saint-Sulpice, construite au XVIIIe siècle, et abrite, au 2, l'ancien séminaire Saint-Sulpice, aujourd'hui siège des Impôts de l'arrondissement. Mais dans ses quinze numéros - de 1 à 17, sans 12, 14 ni 16, mais avec un 2bis, ancienne ruelle où le peintre et photographe surréaliste Man Ray installa son atelier-loft, de 1952 à sa mort en 1976 -, c'est tout un who's who historique, littéraire, artistique, qui s'est succédé.

Athos, dit Dumas, y habitait. D'Artagnan, lui, gîtait rue Servandoni, la parallèle. Madame de La Fayette, au 10, a écrit La Princesse de Clèves. Voltaire et Chateaubriand y ont séjourné (au 2bis, ancien hôtel de Villette). Dans l'hôtel de Mahé de La Bourdonnais, le marin nommé gouverneur par la Compagnie des Indes, au 4, Prévert a traîné sa dèche, Michel Déon conté fleurette à la jeune Sagan. Et puis, au 2, sur le mur des Impôts, l'artiste hollandais Jan Willem Bruins, en 2012, a calligraphié les 100 alexandrins du Bateau ivre de Rimbaud. Qui dit mieux, pour une si modeste rue ?

Et l'on ne peut citer tout le monde. Lydia Flem, elle, le fait, dans ce Paris Fantasme d'une érudition prodigieuse, dans une forme littéraire hybride (autofiction, journal, récit...), et aussi très personnel : la rue Férou prend sa place dans son histoire familiale, fait écho à d'autres demeures, d'autres lieux, lointains ou proches, sur lesquels elle a déjà écrit. Comme l'hôtel Lutetia, où sa mère Édith, juive allemande mariée à un juif russe, résistante sous le nom de Jacqueline Monnier, est revenue à la liberté en 1945, rescapée d'Auschwitz.

Lydia Flem
Paris Fantasme
Seuil
Tirage: 5 200 ex.
Prix: 24 € ; 544 p.
ISBN: 9782021470031

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