Avant-critique Bande dessinée

Lucas Harari et Arthur Harari, "Le cas David Zimmerman" (Sarbacane)

Le cas David Zimmerman, P. 244/245 - Photo © Arthur Harari et Lucas Harari/Sarbacane

Lucas Harari et Arthur Harari, "Le cas David Zimmerman" (Sarbacane)

Les frères Lucas et Arthur Harari construisent une fiction vertigineuse sur l'identité, en forme de thriller fantastique au découpage très cinématographique.

Parution 13 novembre

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Par Benjamin Roure
Créé le 20.11.2024 à 14h00

Je est une autre. David, la trentaine, célibataire, est photographe free-lance - traduisez sans le sou - et semble cultiver, à travers sa silhouette frêle, son visage émacié et son air sombre, une certaine image d'asocial. Traîné à une fête par un ami, il finit par gober un ecsta et croise alors un regard. Celui d'une brune magnétique, aperçue quelques semaines auparavant lors d'un mariage. Il la suit, ils font l'amour sans un mot. Et David se réveille chez lui le lendemain... dans la peau de la jeune femme.

Par son ton angoissé et sa gamme chromatique volontairement sans éclat - entre un bleuté tendant sur le lavande et un rouge délavé -, ainsi que par sa couverture en ombre chinoise et la référence de son titre à L'étrange cas du docteur Jekyll et de Mr Hyde de Stevenson, ce one-shot annonce la couleur : malgré sa potentiellement cocasse inversion de genre, ce ne sera pas une comédie. Le cas David Zimmerman adopte clairement, d'abord, la forme d'un thriller fantastique hitchcockien, à travers une enquête vertigineuse qui mènera David/Rachel à rencontrer d'autres victimes d'un échange d'enveloppe corporelle. Puis, l'histoire se mue peu à peu en réflexion patiente, subtile et noire sur l'identité et son possible effacement.

Ainsi, au fil de ses investigations et de séquences parfaitement structurées, David rencontrera son double, ou plutôt son corps habité par une autre. La projection, le rejet, le transfert voire la tentative de prendre possession de l'autre, autant de thèmes subtilement abordés dans cette histoire qui délaisse le surnaturel pour le psychanalytique, voire la métaphore sociale d'une France vieillissante qui ne reconnaîtrait plus ses propres enfants.

Pour son troisième roman graphique après L'aimant et La dernière rose de l'été (Sarbacane, 2017 et 2020), Lucas Harari propose son œuvre la plus aboutie. Pas seulement parce que son frère - Arthur Harari, homme de cinéma et scénariste notamment d'Anatomie d'une chute- l'a aidé à construire une fine étude sociétale aux dialogues crédibles, enveloppée dans une trame mystérieuse. Mais parce qu'entre ses superbes décors parisiens, sa mise en couleurs étudiée et des choix scénaristiques et de mise en scène sans concession, il semble s'être affranchi de ses nombreuses influences pour mieux faire entendre sa voix.

Lucas Harari et Arthur Harari
Le cas David Zimmerman
Sarbacane
Tirage: 35 000 ex.
Prix: 35 € ; 360 p.
ISBN: 9782377319817

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