Avant-critique Roman

Louis-Henri de La Rochefoucauld, "Les petits farceurs" (Robert Laffont)

Louis-Henri de La Rochefoucauld - Photo © Astrid di Crollalanza

Louis-Henri de La Rochefoucauld, "Les petits farceurs" (Robert Laffont)

Dans Les petits farceurs, Louis-Henri de La Rochefoucauld réinvente à sa façon le thème des illusions perdues.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 21.08.2023 à 09h00

Le dernier des romantiques. Cette histoire aurait pu s'appeler Loin de Rueil. Mais le titre était déjà pris. Ou bien les Illusions perdues. Idem. Malin, Louis-Henri de La Rochefoucauld s'est contenté d'aller chercher dans le roman de Balzac une citation, une phrase balancée à Lucien de Rubempré : « [...] tu pourras être un grand écrivain, mais tu ne seras jamais qu'un petit farceur. » Entre confrères.

Les « petits farceurs », en l'occurrence, ce sont Paul Beuvron, nouveau Rastignac d'une famille modeste des environs de Grenoble, monté à Paris dans le dessein d'y réussir en littérature, de devenir, en effet, un grand écrivain ; et Henri d'Estissac, aristo de La Muette, fils à maman bien conscient des limites de son talent, et qui se contentera de vivoter comme critique littéraire pigiste chez Avant-garde, revue branchée et fauchée, un temps le vade-mecum de tous les bobos technos de la Bastille et alentours. Certains lecteurs avisés y ont reconnu notre confrère Technikart à ses débuts.

Les deux garçons se sont connus en 2003, en hypokhâgne à Rueil-Malmaison, au Centre Madeleine-Daniélou, une boîte de bonnes sœurs réservée aux filles, excepté pour les classes prépa, une espèce de bagne moderne. C'était une de ces rencontres à la vie à la mort, en dépit du temps qui passe, de voies différentes, de divergences de vues. C'est donc tout naturellement que Paul, avant de se suicider en 2021, désigna Henri comme son exécuteur testamentaire et le chargea d'organiser ses obsèques, de trier ses manuscrits, papiers et lettres divers. Et c'est en se livrant à cette tâche qu'Henri a découvert la vérité sur le parcours de son ami : auteur sous son nom d'un seul livre, Le roman national - chef-d'œuvre pour les uns, fumisterie pour les autres, car entièrement constitué de pastiches, un bide total -, il a ensuite prostitué son talent en devenant le nègre le plus recherché de Paris, pour des romanciers nuls, des starlettes, des chanteurs peroxydés, et même un avocat voyou marseillais devenu garde des Sceaux. Fric, alcool, coke etc. Il a également trouvé les raisons de son geste, que nous ne dévoilerons pas ici, naturellement.

Louis-Henri de La Rochefoucauld possède un vrai talent de plume, une vaste culture littéraire, un univers bien à lui, où se mêlent dandysme rétro et humour potache dissimulant une certaine mélancolie et un don pour la satire. Il a réussi ici un roman très XIXe siècle (Balzac, certes, mais aussi Maupassant, voire Zola) sur le milieu littéraire parisien d'aujourd'hui, mêlant personnages inventés et héros à clef. Ce qui lui permet quelques portraits enlevés, comme celui de Patrick Rossi, « le nouveau cador du roman de gare », du ministre Bianchi, « un Cicéron à la sauce aïoli », de l'éditeur Octave Marcillac, qui n'a lu aucun des livres qu'il a publiés, ou de son successeur, Emma Roche, une vraie garce. Paul a cru un temps que ces gens l'avaient adopté, ils l'ont simplement utilisé, il y a perdu son âme, et, plus romantique que cynique, a fini par leur tirer sa révérence, non sans panache.

Louis-Henri de La Rochefoucauld
Les petits farceurs
Robert Laffont
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20 € ; 256 p.
ISBN: 9782221270561

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