Premier Roman/Royaume-Uni 8 janvier Guy Gunaratne

On dit « la langue de Shakespeare » pour dire l'anglais. Mais la périphrase quoique toujours d'usage semble tout à fait éculée. Pas tant à cause du passage des siècles que du fait de l'enrichissement de l'idiome d'Albion par des apports venus d'ailleurs... N'ayant point d'équivalent de l'Académie française pour enrégimenter la langue, l'Angleterre s'est métissée aussi bien ethniquement que linguistiquement... V.S. Naipaul en 1971 est le premier lauréat du Booker Prize d'origine indienne, dix ans plus tard il y eut Les enfants de minuit de Salman Rushdie, autre britannique originaire du Sous-continent à avoir remporté le prix... Sourires de loup de Zadie Smith reflétait une Londres du nouveau millénaire imbibée de cultures des ex-colonies mais déjà en 1956 un certain Sam Selvon, Indien de Trinidad comme Naipaul, avait fait paraître The Lonely Londoners, sur la solitude des Caribéens dans la métropole anglaise, et avait mâtiné ladite langue de Shakespeare du parler des Antilles anglophones... Selvon - pas un hasard - est aussi le nom d'un des trois protagonistes d'Au rythme de notre colère, de Guy Gunaratne.

Ce premier roman d'un natif de Londres d'origine sri-lankaise et vivant entre la capitale britannique et la Suède a résonné outre-Manche comme un hymne furieux. Chant de fureur et de courroux dans une cité prête à craquer, ici très bien rendu par une traduction qui donne à entendre les diverses voix du quartier des Stones, quatre tours encerclant le destin de Selvon, Ardan et Yusuf dit « Yoos », jeunes issus de l'immigration. On parle musique, foot, famille, filles, avenir. Quel avenir ? Comment échapper à ce paysage de misère urbaine et de déréliction. Selvon court et dans un jogging inaugural nous fait faire un « tour du propriétaire » : « Mate les murs. Y a des graffitis partout sur les murs de briques [...]. Mate les fenêtres éclatées et les ordures qui débordent. En courant je passe devant les bennes remplies d'aiguilles et de trucs genre bien dégueu. Ça pue la pisse et la crasse violente balancée là pendant la nuit. » D'autres accents imprègnent ces flux de consciences : Nelson vieil Antillais marqué par le racisme ; Caroline, mère célibataire irlandaise version lumpenprolétariat de Mrs Dalloway. Au son de l'appel de la mosquée devenue radicale, se mêle le grondement des skinheads prêts à en découdre avec les « étrangers ». Une vidéo circule du soldat britannique égorgé en pleine rue par un djihadiste noir, le melting-pot londonien bout tel un chaudron.

Guy Gunaratne
Au rythme de notre colère - Traduit de l'anglais par Laurent Treves
Grasset
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 euros ; 368 p.
ISBN: 9782246821618

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