Christian Bobin est comme la glycine, l'une de ses fleurs de prédilection, où il voit "une sainte en extase". Non pas qu'il se prenne pour un saint, trop humble pour cela. Il possède la foi du charbonnier, celle qui n'a pas besoin de se dire : "Je ne pense jamais à Dieu quand j'entre dans une cathédrale", note Bobin. Dieu, pour lui, est partout. Dans la nature, la lumière, les couleurs. Le bleu, surtout. Des choses simples, parce que "le simple est inépuisable".
De son "extravagance", en revanche, par rapport au monde prétendument "moderne", l'écrivain a parfaite conscience, qui avoue : "Vous savez, des fois je me demande si je suis normal. La réponse est non." Et c'est tant mieux si la "normalité" réside dans le laid, le vulgaire, le superficiel, la violence ambiants. Prenant comme exemple les publicités diffusées à la télé, Bobin observe : "Nous devons être très malheureux pour engendrer de tels rêves compensatoires."
Comme la glycine encore, Christian Bobin refleurit chaque année, avec un livre aussi bref que dense, inclassable qu'indispensable. Celui-ci, L'homme-joie, est une collection de quinze récits à la fois divers et cohérents. L'écrivain se plaît à y convoquer et à y évoquer quelques ombres chères, comme celle de son père, ou celle de "la plus que vive", la femme aimée il y a trente ans et qu'il avait célébrée dans un livre éponyme, en 1996. Cette fois, la famille de la disparue lui ayant redonné le "carnet bleu" où il écrivit pour elle, à la main, de courts textes, aphorismes, poèmes en prose, et qu'il lui avait envoyé en 1980, Bobin en reproduit quelques pages. Il y a aussi des textes lumineux sur la salle Soulages du musée Fabre à Montpellier, Glenn Gould interprétant Bach, Menuhin et Oïstrakh en duo à la radio tandis que son père faisait la vaisselle.
Si le Christ est "le plus grand des poètes", il doit se servir de Christian Bobin comme de Son truchement. L'homme-joie, c'est lui, qui à la page 150 convoque "la seule preuve de l'existence de Dieu". Le plus profond des mystères serait donc enfin résolu, simplement.
