LH forum

Littérature: rendez-vous au Bel Ami

Un nouveau lieu, un nouveau format: le public a répondu présent. - Photo Olivier dion

Littérature: rendez-vous au Bel Ami

Cécile Boyer-Runge (Robert Laffont), Olivier Nora (Grasset), Anna Pavlowitch (Flammarion) et Benoît Virot (Le Nouvel Attila) ont confronté leurs points de vue sur les mutations dans la littérature, à l’occasion du premier "LH forum", organisé par Livres Hebdo à l’hôtel Bel Ami, à Paris.

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Par Pauline Leduc,
Créé le 16.03.2018 à 08h32

Une cinquantaine de professionnels du secteur et quelques étudiants de l’Asfored et du Master Politiques éditoriales de Paris 13-Villetaneuse ont assisté au premier "LH forum" organisé par Livres Hebdo jeudi 8 mars à l’hôtel Bel Ami, à Paris (6e). Cette rencontre payante autour des mutations dans la littérature s’inscrivait dans le prolongement d’une série de quatre articles publiés dans le magazine entre le 9 février et le 2 mars. Dans un cadre intimiste et une ambiance décontractée, Cécile Boyer-Runge, P-DG de Robert Laffont, Olivier Nora, P-DG de Grasset, Anna Pavlowitch, directrice du pôle littérature générale de Flammarion et Benoît Virot, fondateur du Nouvel Attila, ont analysé l’état du marché de la littérature en France et ses évolutions, rebondissant sur les interventions du public.

Polarisation du marché

"Le recul du nombre de grands lecteurs, l’affaiblissement de la presse ou encore les multiples impacts du numérique fragilisent tout un écosystème et rendent difficile l’émergence de titres en littérature", a rappelé Fabrice Piault, rédacteur en chef de Livres Hebdo, en ouverture du débat qu’il a animé. Comme il l’avait déjà évoqué dans une interview accordée au magazine (LH 1159 du 2.2.2018), Olivier Nora s’est inquiété de la "polarisation à l’extrême" du marché alors que trois titres (sur les 150 publiés par Grasset) ont représenté à eux seuls 43 % du chiffre d’affaires de sa maison en 2017. "Notre enjeu est d’arriver à s’acheter du temps long pour laisser fructifier les talents et les œuvres", résume-t-il. Cette hyper best-sellerisation concerne aussi les petites maisons indépendantes, témoigne Benoît Virot: "lorsqu’on a commencé en 2007, tous nos livres se vendaient entre 1 000 et 2 000 exemplaires, aujourd’hui ces chiffres ont explosé vers le haut et vers le bas." Pour Anna Pavlowitch, on assiste à "la disparition des tirages moyens, couplée à une course à la chair fraîche, à la nouveauté, qu’on observe à chaque rentrée". Dans ces conditions, soulève-t-elle, il devient très difficile pour les auteurs ayant déjà une œuvre de quelques livres derrière eux de se faire toujours entendre, lire et connaître.

Lectorat et numérique

Ce mouvement de "dégagisme", comme le nomme Olivier Nora, s’inscrit selon les participants dans l’air du temps. "Emmanuel Macron a été élu face à une énorme envie de changement; lorsque je parle de certains de nos auteurs, j’ai l’impression d’essayer de vendre du Raffarin", s’amuse-t-il. Si Cécile Boyer-Runge nuance le pessimisme ambiant, expliquant que cette crise de la littérature est une rengaine qu’elle entend depuis plus de vingt-cinq ans, elle reconnaît que la différence tient au malaise plus général qui traverse la société française, et à ses mutations, avec les multiples impacts du numérique. "On est face à un paradoxe : d’un côté, on sent qu’il n’y a jamais eu une appétence aussi forte pour les bonnes histoires et, en même temps, le livre perd du terrain, victime d’une forme de désaffection", détaille la P-DG de Laffont qui s’interroge: "Le livre est-il toujours perçu comme moderne ou est-il devenu ringard face aux nouvelles technologies ?" Les réseaux sociaux, smartphones, tablettes… les écrans grignotent la place accordée au livre dans la vie des Français. Un phénomène d’autant plus inquiétant, réagit une personne dans le public, qu’il touche particulièrement la future relève des lecteurs, la jeune génération.

Alors que faire? Plusieurs pistes se dégagent. Ne pas sombrer dans le défaitisme d’abord, puisque les participants s’accordent sur une certaine vitalité de l’édition littéraire. Benoît Virot organise des ateliers de lectures de manuscrits auprès des lycéens et dans les festivals littéraires. "C’est un outil pédagogique qui désacralise le rapport aux livres et me fait découvrir d’autres portes d’entrée que la mienne dans un texte, cela me permet aussi de tester la force d’un roman", s’enthousiasme-t-il. Chez Robert Laffont, on cultive le lien éditeur-lecteurs, en organisant notamment des rencontres pour discuter de la politique éditoriale. "Notre force est de couvrir des champs éditoriaux très larges qui nous permettent de jouer sur différents tableaux entre Julliard, "Bouquins" et notre collection "R", qui s’adresse aux jeunes adultes et nous permet d’attirer de nouveaux lecteurs", explique Cécile Boyer-Runge.

Vers de nouvelles formes de création littéraire?

Les participants soulignent aussi les opportunités découlant du numérique et de la culture de l’image, pour l’émergence de nouvelles formes littéraires avec l’apparition de récits feuilletonnés, mais aussi la naissance de certaines plateformes numériques et participatives, comme Wattpad, que les professionnels surveillent. "Je m’y suis intéressée avec un éditeur durant quelques mois et j’ai arrêté : il ne s’agit pas de littérature populaire mais de fan-fictions peu qualitatives", nuance Anna Pavlowitch. Si les éditeurs tentent de mieux connaître le lectorat, ils insistent sur l’importance de ne pas chercher à coller à une potentielle demande. "Je ne crois pas à la fabrique des best-sellers, nous procédons à une politique de l’offre quel que soit le type de littérature que nous éditons et travaillons de la même manière autour d’un Gilles Legardinier ou d’un Grégoire Bouillier", explique Anna Pavlowitch, qui a œuvré chez Flammarion à abolir la segmentation parfois "incompréhensible" entre titres "grand public" et collection "blanche". Pour Olivier Nora, il est important de ne pas chercher à tout prix à satisfaire les lecteurs et de continuer à publier les auteurs très littéraires, notamment ceux qui se préoccupent de "l’aventure d’une écriture". Même s’ils perdent du terrain en termes de vente.

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