5 avril > Roman France

« Chaque soir, le noble, le farfelu, le très sage, le Sphinx à la canne d’oud et au canotier de blé sauvage, l’aîné de tous les écrivains d’Egypte, Albert Cossery, déguste un verre de vin puis son repas à la brasserie Lipp. » C’est là que la narratrice du Rêve de l’autre a fait la connaissance de l’écrivain né il y a cent ans et mort en 2008, dont Joëlle Losfeld, éditrice de Milena Hirsch, a publié les œuvres complètes. Mais dans le roman, ce sera ensuite familièrement « Albert » qui, oracle privé de voix, délivrera par écrit à cette femme en attente, des lignes de vie.

Joubra est solitaire, flottante, irrésolue. Elle marche dans la ville vidée par l’été, piétonne de Paris dans ces premiers jours du mois d’août. Le « mois 8 est puissant », écrit la romancière. L’homme aimé, Mertel, est parti loin, depuis trois mois. Elle ne sait ni où il est, ni quand il reviendra. Elle l’attend sans l’attendre. Quand ils se téléphonent, elle est gauche et ils ont du mal à se comprendre. Elle a les clés de son appartement…

Dans ses randonnées urbaines, la femme tombe un soir sur un homme écroulé sur le trottoir, apparemment blessé. Elle l’installe dans un hôtel du Quartier latin, rue des Ecoles, en face de l’hôtel California où ses grands-parents, deux êtres « libres, fantasques, rebelles », ont passé leur première nuit ensemble et où sa mère a été conçue, chambre 27. L’homme secouru ne prononce pas un mot, ne répond pas aux questions. Comprend-il seulement ce qu’elle lui demande ? Elle le surnomme « Nuit sans Lune », puis plus tard Yan. En quelques heures, une relation naît dans la tension de ce silence.

Cette errance en compagnie d’absents, de fantômes, de fuyants fait naître un Paris nocturne et cinématographique, vu comme dans un long travelling de la fenêtre d’un taxi. « La rue sent l’eau d’un lac à sec en Afrique. » C’est un espace familier mais en même temps un Paris de lieux publics, traversé, regardé comme une ville étrangère peuplée de gens de passage, de gens d’ailleurs. Une communauté à laquelle la narratrice se sent elle-même appartenir, de clandestins sans valise, qui transportent tout en eux. « Voyage léger ! » lui avait conseillé, au téléphone, son compagnon parti. V. R.


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