Dans l'un des immeubles du groupe à Pékin, il a tombé la veste et la cravate et parle un anglais parfait... A la tête de China Education, qu'il représentera au forum "Les nouveaux horizons de l'édition", organisé mercredi 12 octobre à Francfort par Livres Hebdo avec ses confrères américain, britannique, allemand et brésilien (1), Li Pengyi veut incarner la nouvelle image de l'édition chinoise, à laquelle le gouvernement chinois travaille depuis sept ans : une édition organisée autour de grands groupes, toujours contrôlée par l'Etat, mais moderne et... profilée pour l'économie de marché.
Constitué en décembre 2010 - "le 18 décembre", précise son président -, après le China Publishing Group (édition générale, 2002) et une trentaine de groupes régionaux, mais avant le China Science & Technology Media Group (STM, juillet 2011), China Education s'impose d'emblée comme le principal groupe d'édition chinois. "Nous sommes numéro un dans le secteur éducatif, qui constitue lui-même la majorité du marché du livre en Chine", note Li Pengyi. China Education Publishing & Media Group est composé de cinq filiales puissantes. Le mastodonte universitaire Higher Education Press (HEP) s'inscrivait avant même la création de China Education au 40e rang du Classement Livres Hebdo de l'édition mondiale (2). People's Education Press (PEP) est le principal éditeur scolaire du pays. Language & Culture Press produit des dictionnaires et des méthodes d'apprentissage des langues. China Educational Publications Import & Export Corporation (CEPIEC) est la principale entreprise chinoise tournée vers le marché international dans le secteur de l'éducation. China Educational Instrument and Equipment Corporation (CEIEC) fournit des services et des matériels éducatifs.
Cinq poids lourds
Pour le gouvernement chinois, le rapprochement de ces cinq poids lourds permet de faire émerger un pôle éditorial d'envergure internationale, qui revendique pour 2010, avec 4 600 salariés, un chiffre d'affaires de 6 milliards de yuans (677 millions d'euros) et un résultat net de 900 millions de yuans (101,5 millions d'euros). "Un de nos objectifs est de regrouper certaines activités, indique Li Pengyi. Nous avons d'abord fusionné les cinq entrepôts de nos différentes sociétés en un seul, ce qui représente une très grosse opération. Ensuite, nous créons ce mois de septembre une direction financière commune avec une partie des personnels des cinq filiales. Nous allons organiser le partage d'information et travailler à éviter les concurrences internes au groupe en fusionnant certains départements".
La restructuration de China Education vise à permettre "l'introduction du groupe en Bourse en septembre 2012, comme l'ont déjà fait une dizaine de groupes d'édition chinois et comme le feront d'autres dans les prochaines années, précise son président. Après, nous ferons des acquisitions en Chine, où nous pourrions nous intéresser à des presses universitaires, comme à l'étranger". Le contrôle maintenu de la majorité du capital du groupe par l'Etat n'est-il pas un obstacle à son développement international ? "Non, cela ne constitue une difficulté ni en Chine ni à l'étranger, tranche Li Pengyi. En revanche, les procédures d'autorisation en vigueur pour les investissements à l'étranger peuvent rallonger les processus d'acquisition. C'est quelque chose que le gouvernement chinois devrait améliorer", souhaite-t-il, estimant que son groupe sera "en mesure d'investir à l'étranger d'ici à deux ans".
Un milliard d'euros levés en Bourse
Au total, avec "un milliard d'euros" qu'il prévoit de lever sur le marché boursier, le président de China Education compte en fait investir dans cinq directions. "Nous allons d'abord mettre l'accent sur l'édition de manuels scolaires en Chine, qui constitue notre premier marché et où nous sommes leader, explique-t-il. Nous voulons faire plus de livres pour nous adapter aux spécificités régionales et aux besoins particuliers des différents marchés." Li Pengyi veut ensuite investir dans l'édition numérique. "Nous avons cinq ans de retard par rapport à l'Ouest dans le numérique éducatif, constate-t-il, et nous avons dans ce domaine de nombreux défis à relever : nos éditeurs sont réticents au changement ; le personnel qualifié fait défaut et nous n'avons pas encore trouvé le bon modèle économique."
En troisième et quatrième positions, les fonds levés sur le marché financier doivent servir à "financer des infrastructures, explique Li Pengyi, notamment notre système d'information", et à "bâtir notre propre outil de distribution ainsi qu'un centre d'information à l'intention des libraires, des enseignants et des étudiants". Enfin, le président de China Education souligne : "L'argent servira aux fusions et acquisitions. De l'Europe de l'Ouest aux Etats-Unis comme en Amérique latine, en Afrique et en Asie, nous voulons être partout dans le monde." Pour Li Pengyi, cependant, le développement international de son groupe passe d'abord par "la fourniture d'ouvrages d'apprentissage du chinois et de familiarisation à la culture chinoise à l'intention des apprenants du chinois, notamment dans les 400 instituts Confucius de par le monde, où ils sont déjà 300 000 ; et par le développement de revues scientifiques, techniques et médicales qui puissent servir de vitrines aux chercheurs chinois".
Pour Li Pengyi, l'éducatif reste, en Chine, un marché porteur "au moins pour les dix prochaines années". "Le gouvernement vient de publier un plan décennal de développement de l'éducation, se réjouit-il. D'ici un à deux ans, 4 % du PIB lui seront consacrés, à travers des investissements de l'Etat central comme des gouvernements régionaux." Dans ce contexte, il s'attend à "un gros développement du parascolaire qui, à la charge des familles, représente déjà trois fois le marché des manuels, payés par le gouvernement". "Nous allons en publier beaucoup plus", annonce-t-il. Et de pester contre "les ateliers culturels privés qui publient des livres piratés" ; d'assurer que China Education "n'a jamais vendu de numéros d'ISBN au privé" comme le font la plupart des autres maisons publiques chinoises, car "c'est de la menue monnaie et c'est mauvais pour l' image" ; et de se féliciter d'"une décision annoncée en août par le gouvernement interdisant la publication sans copyright".
Avec le privé
Cependant, à l'instar des autres groupes publics chinois, China Education va, après son entrée en Bourse, « collaborer avec des ateliers d'édition privés, admet Li Pengyi. Certains, et notamment les plus gros, se sont spécialisés dans le parascolaire ; ils ont des bons réseaux de contacts et de diffusion". Le groupe pourrait "prendre des parts minoritaires ou majoritaires dans le capital de certains d'entre eux".
Reste à passer l'étape de l'entrée en Bourse. "C'est une procédure compliquée, >insiste Li Pengyi. Nous sommes encore une compagnie traditionnelle : nous devons procéder à d'importants changements internes pour l'adapter aux impératifs d'un groupe moderne et traverser de nombreuses procédures. Et nous devons obtenir in fine l'agrément de l'autorité du marché financier."
(1) "Les nouveaux horizons de l'édition", forum organisé par Livres Hebdo avec Publishers Weekly (Etats-Unis), The Bookseller (Royaume-Uni), Buchreport (Allemagne) et Publish News (Brésil), avec la participation d'Arnaud Nourry (Hachette Livre), John Makinson (Penguin), Li Pengyi (China Education) et Oleg Novikov (Eksmo), mercredi 12 octobre de 14 h 30 à 16 h à la Foire internationale du livre de Francfort, salle "Dimension" (hall 4.2).