D’Action directe il demeure dans l’imaginaire collectif quelques noms fameux, ceux de Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon ou Joëlle Aubron... et ceux de leurs victimes, le général René Audran et le P-DG de la régie Renault Georges Besse, assassinés par le groupe terroriste au milieu des années 1980.
S’il est bien question d’eux, et d’autres, dans L’escamoteur, nouvel album de fiction/documentaire des éditions Futuropolis, fruit de la troisième collaboration entre Sébastien Goethals et Philippe Collin après Le voyage de Marcel Grob (2018) et La patrie des frères Werner (2020), les deux auteurs se gardent bien d’en faire les personnages principaux de leur récit des « années de plomb », entre 1974 et 1984.
Gabriel Chahine, un personnage ambivalent
Ce rôle-là échoit à un autre homme, Gabriel Chahine, représenté en couverture de l’album un tableau volé sous le bras. Personnage ambivalent, cet artiste d’origine libanaise roulait pour les services secrets français tout en faisant mine d’embrasser la cause d’Action directe, grenouillant avec désinvolture des deux côtés de la barrière, aussi à l’aise avec les officiers du renseignement qu’au sein des cellules les plus radicales d’Action directe.
On le voit donc dans l’album jouant de son charme pour monter plusieurs « coups » afin d’aider à l’arrestation des membres du groupuscule terroriste : l’un des plus audacieux est le vol du tableau de Jérôme Bosch L’escamoteur, présenté comme le moyen de financer l’achat d’armes. En quête de reconnaissance internationale, les membres d’Action directe se laissent aussi séduire par la possibilité de rencontrer le terroriste Carlos. Là encore une idée de l’entremetteur Chahine.
Le choix de Gabriel Chahine comme porte d’entrée dans l’histoire d’Action directe s’est vite imposé pour Sébastien Goethals et Philippe Collin. Si les deux auteurs avaient bien en tête d’explorer la France des années de plomb, ils considéraient aussi qu’aborder le sujet directement à travers le parcours du leader d’Action directe Jean-Marc Rouillan était un « piège » à éviter.
Porte d'entrée alternative
Ils s’en expliquent de manière originale dans l’album, n’hésitant pas à se mettre en scène en quête d’une « porte d’entrée » alternative. Porte d’entrée que leur offre l’histoire familiale de Sébastien Goethals lui-même : élevé dans un milieu libertaire, l'illustrateur a vu passer dans son adolescence chez ses parents nombre de personnages marginaux. Parmi eux une certaine Primevère, incarcérée en 1984 pour avoir hébergé des membres d’Action directe. Tirant le fil, ils en arrivent à Gabriel Chahine pour tisser à travers lui l’histoire du groupuscule qui marqua de son empreinte la France des années Giscard et Mitterrand.
Gabriel Chahine, quant à lui, périra assassiné en 1982, première victime avérée d’Action directe avant les assassinats spectaculaires de René Audran et Georges Besse. Il avait contribué à l’arrestation de Rouillan et de sa bande en 1980. Amnistiés l’année suivante par François Mitterrand, ils se vengeront en tuant celui qui était devenu un traître à leurs yeux.
Servi par la qualité du dessin de Sébastien Goethals et par une narration dense et efficace, L’escamoteur s’appuie sur une longue enquête et le recueil de nombreux témoignages. Il offre un regard neuf et passionnant sur une période relativement méconnue de l’histoire de France. L’album s’achève par un dossier historique du spécialiste de l’histoire politique du XXe siècle Fabien Archambault.