En 1492, au moment où Christophe Colomb découvre l’Amérique, la plus nombreuse des communautés juives médiévales, les Sefaradim, est chassée d’Espagne. Ces Juifs vont se disperser tout autour du bassin méditerranéen. Une partie d’entre eux, qu’on estime à environ 60 000, s’installe à Istanbul, l’ancienne Constantinople, l’ex-Byzance, prise en 1453 par les Turcs et devenue capitale de l’Empire ottoman. Un creuset de civilisations, où cette communauté vivante et industrieuse va non pas se fondre, mais s’agréger, au point de supplanter les Juifs autochtones, les Roumaniotes. Les Sépharades, qui demeurent encore aujourd’hui, plus de cinq cents ans après, envers et contre toutes les tourmentes de l’Histoire, environ 20 000 des deux côtés du Bosphore, ont marqué de leur empreinte Istanbul, ne serait-ce que dans son tissu urbanistique. C’est à leur recherche qu’Esther Benbassa, titulaire de la chaire d’histoire du judaïsme moderne à l’Ecole pratique des hautes études et directrice du centre Alberto-Benveniste d’études sépharades, s’est lancée, avec nostalgie et de manière "furtive", confie-t-elle. Son Istanbul la Sépharade est à la fois un album de famille et une promenade thématique, grâce à des documents anciens, toujours émouvants, montrant ces gens dans leur vie quotidienne, et aux photographies inspirées de Jean-Louis Dudonney, surtout des synagogues, encore en activité ou désaffectées, en ruine, et des cimetières, eux aussi soit laissés à l’abandon, soit entretenus soigneusement, grâce à des dons ou des fondations. Ces clichés ont été pris en 1980, et il faudrait refaire aujourd’hui un inventaire exhaustif de cette présence juive à Istanbul, avant qu’elle ne s’estompe complètement dans la mégalopole erdoganienne. Les Juifs, commerçants, artisans, fonctionnaires, diplomates ou banquiers, ont toujours été tolérés, voire protégés par les Ottomans, considérés comme des "invités". Après la République laïque, ils sont traités comme tous les autres non-musulmans. Durant la guerre de 39-45, la Turquie était neutre, mais pas terre d’asile pour autant. Après la création d’Israël, nombre d’entre eux émigreront. D’autres, comme les célèbres Camondo, richissimes banquiers progressistes et philanthropes, avaient choisi la France depuis des générations. La dernière de la famille, Béatrice, est morte à Auschwitz. Si les Camondo étaient demeurés à Istanbul… J.-C. P.