Livres Hebdo : Comment en êtes-vous venue à éditer les planches de Thomas Mathieu ?
Nathalie Van Campenhoudt : J’ai découvert le projet de Thomas sur internet, via son Tumblr. J’ai trouvé ça très juste, je me suis reconnue dans certaines histoires. Ça m’a interpellée. Au début j’ai pensé que l'auteur était une fille, vu la thématique féministe. Quand j’ai compris que c’était un garçon, j’ai trouvé ça encore plus intéressant : il a vraiment compris ce que pouvaient endurer les femmes. Il est très respectueux des victimes (ndlr : les histoires sont conçues à partir de témoignages réels). On a commencé à discuter par mail, j’ai compris qu’il habitait à Bruxelles, comme moi. On s’est rencontrés et on a beaucoup échangé autour de sa démarche et du féminisme en général. Il avait reçu d’autres propositions d’éditeur, mais il a choisi Le Lombard, compte tenu de nos bonnes relations et du fait que je sois une femme.
N.V.C. : Pas beaucoup. J’en ai parlé directement à la direction du Lombard, qui a donné son accord rapidement. On savait que le sujet était délicat, qu’il fallait expliquer la démarche de l’auteur. Thomas a proposé d’ajouter des postfaces. On a commandé des textes à quatre personnes de référence sur le sujet. Par exemple la blogueuse Lauren Plume, qui explique le parti-pris de représenter tous les hommes en crocodiles, qui pouvait ne pas être compris d’emblée. Thomas fait en sorte que les lecteurs s’identifient aux femmes et pas aux crocodiles, c’est un comportement qui est visé. D’ailleurs, à la fin du livre, il se représente lui aussi en crocodile, en train d'essayer d’enlever son costume. Une sociologue, Irene Zeilinger, parle quant à elle de la manière de réagir en tant que victime ou témoin. L’ouvrage n’a pas été conçu comme un livre pour enfants. Beaucoup de gens jugent aussi l’album en ayant lu seulement le Tumblr, où il n’y a pas ces ajouts. Le travail de Thomas s’inscrit dans une ligne de libération de la parole des femmes, via ces témoignages. Et puis, on n’en parle pas mais il a un vrai talent de narration, de mise en scène.
LH : Une élue a qualifié ce travail d’"immoral" et de "vulgaire". Que pensez-vous du caractère politique que prend l’affaire ?
N.V.C. : Nous avons été étonnés. Oui il y a des grossièretés, un langage qui n’est pas soutenu. Mais cela correspond aux réalités que l’auteur dénonce. Quant à l’immoralité, on ne comprend tout simplement pas ce reproche. Au contraire : nous dénonçons les comportements inappropriés. D’un côté on trouve que la polémique fait parler du livre et du message de Thomas, mais nous sommes étonnés de la tournure politique que cela prend. C’est d’autant plus surprenant qu’en Belgique, une action positive a lieu autour des Crocodiles. Les dessins sont utilisés pour illustrer un guide qui donne des pistes sur les comportements à adopter face au harcèlement. Ce guide est distribué dans les plannings familiaux et est aussi disponible en ligne.