Archives ouvertes

Les bibliothécaires à l’offensive

Bibliothèque universitaire Paris Diderot. - Photo olivier dion

Les bibliothécaires à l’offensive

Le projet de loi d’Axelle Lemaire pour une République numérique relance la mobilisation des bibliothèques universitaires sur les modalités de constitution de grands réservoirs gratuits des publications scientifiques, sujet de conflit avec les éditeurs.

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Par Véronique Heurtematte,
avec Créé le 09.10.2015 à 02h05 ,
Mis à jour le 19.10.2015 à 10h30

Objet de débat entre les bibliothèques universitaires et les éditeurs depuis plusieurs années déjà, la question des archives ouvertes revient sur le devant de la scène à la faveur du "projet de loi pour une République numérique" élaboré par la secrétaire d’Etat au numérique, Axelle Lemaire.

Le 5 octobre, l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU), Couperin, consortium de bibliothèques universitaires et de recherche chargé de négocier l’achat de ressources numériques pour ses membres, et la Conférence des présidents d’université (CPU) ont proposé dans une lettre conjointe trois amendements au projet de loi (voir encadré), dont deux concernent les archives ouvertes.

Couperin organise de son côté, du 12 au 14 octobre, deux ans après une première en janvier 2013, une deuxième grande rencontre sur le sujet sous le titre "La science ouverte en marche : les chercheurs, acteurs des mutations de l’édition scientifique à l’ère de l’Open Access". Et les archives ouvertes étaient au cœur des débats du 45e congrès de l’ADBU, du 29 septembre au 1er octobre à Besançon.

Querelle d’embargo

Les éditeurs ne sont plus opposés dans le principe à la constitution d’archives ouvertes des publications issues des recherches financées par des fonds publics. Mais le désaccord demeure plus vif que jamais sur la durée des embargos entre la publication commerciale et le versement des articles dans les réservoirs en accès libre.

Le projet Lemaire, dans un souci de ménager tout le monde, prévoit des durées d’embargo de douze mois pour les sciences dures et de vingt-quatre mois pour les sciences humaines et sociales (SHS). Or cette proposition ne satisfait personne pour l’instant.

Contrariés par la récente campagne du Syndicat national de l’édition (SNE), "La gratuité, c’est le vol", les bibliothécaires réclament l’alignement sur les recommandations de Bruxelles, à savoir six mois pour les sciences dures et douze mois pour les sciences humaines. Les éditeurs, eux, y voient une condamnation à mort. "Passer brutalement d’un embargo de cinq ans à vingt-quatre mois tuera à coup sûr les revues en SHS. Nous serons nombreux à mettre la clé sous la porte à brève échéance, prophétisait un éditeur de sciences humaines croisé au congrès de l’ADBU. Il faudrait diminuer progressivement la durée, afin de laisser aux éditeurs le temps de mettre en place un nouveau modèle économique."

La fouille en question

Pour François Gèze, directeur de collectionà La Découverte et président du groupe universitaire du SNE et de la plateforme de revues numériques de sciences humaines Cairn.net, "cette loi aura l’effet inverse de ce qui est recherché. Au lieu de stimuler la diffusion des résultats de la science, elle va conduire à la disparition d’un pan entier de l’édition spécialisée. Oui, il est nécessaire de diffuser plus largement, mais il faut fixer des durées d’embargo raisonnables, fondées sur une étude d’impact sérieuse, et non sur une position idéologique". Une mesure d’accompagnement financier des éditeurs de SHS pour compenser le manque à gagner serait actuellement à l’étude au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, mais rien n’est confirmé à ce jour.

Le text and data mining ("fouille de contenu", en français) constitue une autre pierre d’achoppement entre éditeurs et bibliothécaires. Le gouvernement français a prudemment évacué cette question du projet de loi Lemaire "en raison du contexte européen avec le projet de modification de la directive sur le droit d’auteur", a expliqué Alain Abécassis, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, au congrès de l’ADBU. Une exception au droit d’auteur, permettant la fouille de textes, est en effet à l’étude dans le cadre de ce projet de réforme.

Les bibliothécaires veulent que cette disposition soit réintroduite dans la loi Lemaire alors que, pour les éditeurs, on estime que ce n’est pas un sujet d’actualité. "Cela existera un jour mais, pour l’instant, il n’y a pas de demande, estime François Gèze. Il n’y a pas besoin de légiférer sur cette question, la voie contractuelle suffit. " Après une discussion en première lecture à l’Assemblée nationale le 6 octobre, le texte devrait passer en Conseil des ministres courant novembre pour être déposé devant le Parlement début 2016.

Christophe Pérales : "Les archives ouvertes constituent un enjeu sociétal"

Photo OLIVIER DION

Lundi 5 octobre, l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) a cosigné une lettre portant trois propositions d’amendement au projet de loi Lemaire : la réduction des durées d’embargo avant publication des articles scientifiques dans des archives ouvertes, la création d’une obligation de dépôt pour les chercheurs et la réintroduction de la fouille de contenus. Son président, Christophe Pérales, explique pourquoi.

Christophe Pérales- Pour l’instant, aucune étude n’a permis de déterminer la durée nécessaire aux acteurs de l’édition pour atteindre leur seuil de rentabilité dans le domaine scientifique. Les publications de travaux de recherche financés par des fonds publics, et pour lesquelles les chercheurs ne reçoivent pas de rémunération de la part des éditeurs, doivent être diffusées largement. La constitution d’archives ouvertes relève d’un enjeu sociétal fort : celui de l’ouverture de la science vers la société.

Toutes les publications de travaux de recherche qui bénéficient de fonds européens y sont déjà soumises. L’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) l’a aussi adoptée. A l’université de Liège, en Belgique, les évaluations des enseignants-chercheurs et l’attribution des financements dépendent du respect de l’obligation de dépôt dans les archives ouvertes.

Autant je peux entendre l’inquiétude des éditeurs quant aux durées d’embargo, autant les réticences sur la fouille de textes me dépassent. Encadrer précisément cette pratique par une loi nationale serait plus sécurisant pour les éditeurs que de s’en remettre à la rédaction communautaire. La fouille de contenus est un outil scientifique supplémentaire qui répond à certains besoins des chercheurs. Il faut le mettre à leur disposition.

09.10 2015

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