De l’avis même de Jérôme Leroy, Jugan est un "roman d’amour monstre". L’écrivain ne cache pas non plus qu’il s’est pour cela inspiré de l’un de ses livres cultes, maintes fois relu, L’ensorcelée de Jules Barbey d’Aurevilly.
Clin d’œil, le narrateur est d’ailleurs professeur de lettres classiques au collège… Barbey-d’Aurevilly. Notre homme dit avoir eu une existence "si banalement rangée". Il est marié à Nathalie, amatrice de gros romans policiers scandinaves, elle aussi professeure, et père d’une petite Claire âgée de 4 ans. En vacances avec sa famille en Grèce, à Paros dans les Cyclades, il ne peut oublier ce qui s’est passé à Noirbourg, une ville de cinquante-cinq mille habitants reconstruite, comme Le Havre, après la guerre. Un lieu du Cotentin où l’on se couche tôt, où l’on trouve à la fois des bourgeois et des Gitans. On apprendra ici ce qui est arrivé à Joël Jugan, le fils unique d’un notaire. Un jeune homme entré en rébellion. Il voulait faire la révolution, clamait : "Nulle réconciliation possible avec ce monde-là." Jadis, Jugan s’est lancé dans "une lutte à mort contre l’ordre social". Pour cela, il a formé Action Rouge, un groupe armé d’extrême gauche, cousin d’Action Directe, qui s’est rapidement fait connaître avec ses sanglants coups d’éclat. Il y eu d’abord l’assassinat d’un P-DG, d’autres choses encore, du genre crimes ou braquages. De quoi lui valoir dix-huit ans de prison, où il est un "DTS", un "détenu particulièrement surveillé".
Un beau jour, Jugan revient au pays natal, à Noirbourg, en liberté conditionnelle. Précisons qu’il est désormais défiguré, "proprement monstrueux" - on apprendra comment plus tard -, et sans doute pas uniquement physiquement. Jugan trouve du travail grâce à l’une de ses anciennes amies et complices, Clotilde Mauduit, qui s’occupe d’élèves en difficulté. Sur sa route, il va bien vite trouver Assia Rafia, une jeune fille aux cheveux noirs de jais, issue de la "Zone", le quartier des HLM de la ville, que le narrateur avait eue pour élève. Entre elle et l’ancien activiste, il a été rapidement question d’un coup de foudre maléfique. D’abandon et de domination. Sans même compter sur la présence dans le tableau des pouvoirs d’une Gitane en robe rouge décidée à punir Assia.
L’auteur du Bloc ("Série noire", 2011, repris en "Folio policier") et de L’ange gardien ("Série noire" 2014, prix Quai-du-Polar 2015) fait se croiser, avec une grande maîtrise, passion politique et passion amoureuse. L’occasion pour lui se s’essayer à une nouvelle forme de roman noir, ce qu’il réussit haut la main avec ce Jugan tendu et tenu. Une tragédie à la fois classique et moderne. Et qui donne, de surcroît, une furieuse envie de se replonger sans tarder dans L’ensorcelée. Alexandre Fillon