Trente personnalités des arts, des spectacles, de la mode, du sport ou de l’architecture nous donnent leurs recettes pour attiser le désir de livres et de lectures. Dossier coordonné par Marie-Christine Imbault, avec C. Andreucci, C. Normand, J.-C. Perrier, M. Quinti, V. Thomas et A. -l. Walter.
Ernest Pignon-Ernest, Abd Al Malik, Sylvie Testud, Nathalie Baye, Bernard Tschumi, Guillaume Gallienne, Christian Constant, François Gabart, Lilian Thuram, Edouard Baer, Angelin Preljocaj… Ils enchantent nos vies par des parenthèses de plaisir, qu’ils dansent sur les pointes ou dribblent sur les terrains, plissent la mousseline de soie ou sculptent la pierre, chantent des rimes ou pincent les cordes, modèlent le béton ou taillent des juliennes. Artistes avant tout, ils font preuve d’une sensibilité exacerbée, d’une connivence singulière avec le regard, le son, la voix, le toucher, tous ces moyens nécessaires à la transmission. Par là, ils savent mieux que quiconque transmettre le plaisir de lire et, souvent, ils ont leur idée sur la manière de réenchanter le livre, de réveiller l’envie d’en acheter et d’en lire comme autant de gourmandises.
Ils sont trente - artistes, comédiens, sportifs, architectes ou cuisiniers - à avoir accepté de nous confier leur rapport à la lecture, en même temps qu’ils nous suggèrent, pour la plupart, des solutions pour remettre le livre au cœur des loisirs. Celles-ci ne sont jamais très éloignées de leur quotidien. Les plasticiens déclarent un vrai rapport sensuel à l’objet, allant jusqu’à « lui couper les pages », geste « élégant ou sauvage » de Pierre Alechinsky. Les chanteurs et comédiens prônent l’oralité et la mise en scène de la lecture. D’autres, à cause peut-être d’une blessure de l’enfance encore à vif, s’empressent de vouloir déculpabiliser les mauvais lecteurs en leur permettant de « sauter des pages ». Surtout, en n’obligeant personne à lire : « Tout ce qui est de l’ordre de l’incitation me paraît contre-productif », déclare Dominique A. D’autres amoureux, comme Miou-Miou, donnent des rendez-vous clandestins aux livres sur les bancs publics. Christian Lacroix, que l’on verrait bien « dealer » ses lectures à tous les coins de rue et dans chaque file d’attente, les distille « comme un poison auquel il serait dangereux de s’adonner », tandis qu’un autre monstre sacré du petit point, Jean-Charles de Castelbajac, se voit bien distribuer aux passants des tracts composés d’extraits d’œuvres majeures comme autant d’appâts. Plus moderne, le rappeur Oxmo Puccino diffuse des phrases sur Twitter. « On peut être amené àlalittérature dedifférentes façons », confirme la chorégraphe Marie-Claude Pietragalla qui, comme son confrère Angelin Preljocaj, fait la danse du ventre aux lecteurs en incarnant les mots. Les chefs étoilés préfèrent, eux, les assembler comme des mets, pour le grand régal des papilles : « Onessaie de raconter son histoire personnelle », confie Yves Camdeborde. Sans jamais tomber dans le passéisme (« il y a eu l’imprimerie, maintenant l’ordinateur, c’est lavie », dit Guillaume Gallienne), tous nous ont parlé avec émotion et conviction, montrant un attachement bien vivant au livre.
M.-C. I.
Pierre Alechinsky : offrir le coupe-papier de Lichtenberg… en or
Peintre et graveur belge, membre de Cobra.- Photo RAPHAEL GAILLARDE/GAMMA
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Lisait-on mieux ou plus à l’époque où le lecteur dévorait un livre en lui coupant les pages ? Je regrette ce geste élégant ou sauvage, selon l’appétit. Cela donnait la mesure. En souvenir de cette activité manuelle d’accompagnement, mais surtout en signe d’encouragement à la lecture, proposons aux libraires d’offrir à chaque acquéreur de cent ou cinquante, mettons vingt-cinq ouvrages par an, une réplique en or du fameux coupe-papier de Lichtenberg.
Edouard Baer : avoir l’insolence de sauter des pages
Acteur : Turf, un film de Fabien Onteniente ; A la française !, texte et mise en scène, au théâtre Marigny.- Photo DANIEL ANGELI
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Face à ce que nous montre la télévision, les livres me rassurent sur la profondeur et l’intelligence de l’homme. Au-delà des différentes lectures que je peux faire pour le plaisir ou le travail, je me réserve, une fois par an, pendant les vacances, à la lecture d’une grande œuvre : Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand l’été dernier, L’idiot de Dostoïevski en 2011… Les livres nous aident à voir le monde au-delà des apparences… car, au fond, c’est difficile de savoir voir.
Pourtant mes premiers contacts avec la lecture n’ont pas été évidents. Il y avait quelque chose d’écrasant, pour moi, dans les livres, d’autant qu’enfant j’avais du mal à me concentrer. Toutefois, comme la lecture était quelque chose d’important dans la famille, je m’y suis intéressé… mais à ma façon, de manière plus ludique. Si l’on veut que les gens lisent, il faut désacraliser la lecture. Moi j’entame beaucoup de choses sans forcément les finir. Il faut avoir le courage ou plutôt l’insolence de sauter des pages !
Yves Camdeborde : les mots comme les mets
Chef cuisinier du Comptoir du relais Saint-Germain (Sur le zinc : le retour du hors-d’œuvre, M. Lafon, 2012).- Photo STÉPHANE DE BOURGIES
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La lecture, c’est pour moi le seul moment où j’arrive à me concentrer sur autre chose que ma vie quotidienne. Je suis fasciné par les gens qui savent écrire, c’est un art que je ne maîtrise pas. Mais c’est un peu comme la cuisine, on essaie de raconter son histoire personnelle, c’est un assemblage de différents sentiments. Et comme je suis installé à Saint-Germain, je croise beaucoup d’écrivains et d’éditeurs, et tous les jours j’ai l’occasion de parler avec eux, de me faire expliquer pourquoi ils ont écrit telle chose. Dans l’hôtel, on a choisi d’identifier les chambres avec des noms d’auteurs : Antoine Blondin, Frédéric Dard… Avec Sébastien Lapaque, on a fait un petit livre, Room service (Actes Sud), qui raconte l’esprit de chacun d’eux, et dans lequel je donne deux ou trois recettes qui reprennent les thématiques de la vie et de l’œuvre de l’artiste.
Lilian Thuram : Je crois beaucoup à l’oralité
Ancien footballeur international français, crée en 2008 la Fondation Lilian Thuram-Education contre le racisme.- Photo JOHN FOLEY
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Selon moi, il faut commencer par familiariser les enfants très tôt à la maison en leur lisant des livres, puis bien sûr continuer à l’école. En leur lisant régulièrement de la poésie, par exemple. Il existe aussi, un peu partout, des festivals, des rencontres, oùdes comédiens disent des textes. Ce peut être les auteurs eux-mêmes, à condition qu’ils lisent mieux que moi! Plus que jamais, nous avons besoin de passeurs qui attisent chez nous tous, en particulier chez les enfants, l’envie de lire. Il faut aussi leur faire savoir qu’il existe des livres sur tous les sujets, sur tous les thèmes, pas seulement « classiques »: comme le foot, par exemple! Je crois beaucoup à l’oralité, à la transmission, àla vertu de l’exemple.
Nathalie Baye : un besoin immédiat d’en parler
Comédienne (Les reines du ring de Jean-Marc Rudnicki, juin 2013).- Photo STEPHANE ALLAMAN/GAMMA
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Les livres sont sans doute mes meilleurs amis. Ceux que j’aime font partie de ma vie, je les garde précieusement. Quelquefois je les relis.
La lecture est ma plus grande passion. Quand j’ai aimé un livre, j’ai un besoin immédiat d’en parler. De le faire découvrir à ceux que j’aime.
Ils prennent une grande place chez moi, il y en a qui sont en attente. Le temps me manque, mais ils savent que je ne les oublie jamais.
Marie-Claude Pietragalla : blogs, Facebook, Twitter et autres
Danseuse et chorégraphe, en tournée pour Mr et Mme Rêve, coproduit par Dassault Systems pour les décors en 3D.- Photo PASCAL ELLIOTT
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La littérature a toujours beaucoup guidé mon travail de chorégraphe. D’ailleurs, le spectacle que je donne actuellement avec Julien Derouault, Mr et Mme Rêve, est inspiré de l’œuvre d’Eugène Ionesco. Peut-être donnera-t-il envie à certains spectateurs de lire ou relire cet écrivain. Car on peut être amené à la littérature de multiples façons : parce qu’on s’intéresse à un artiste ou à un thème, par le biais d’une émission, d’une recommandation. En ce sens, les blogs, Facebook, Twitter et autres peuvent être des outils de communication à même de porter un livre au-delà de son cercle d’amis. Il y a beaucoup de portes d’entrée donc mais pas de recette type. D’autant que la lecture est quelque chose de très intime. On peut lire pour apprendre, pour s’évader, pour se poser et réfléchir… Chacun peut y trouver son intérêt et c’est peut-être le meilleur argument en sa faveur.
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La lecture est une petite jouissance. Cela commence, au moment d’ouvrir le livre et des premières lignes, par un petit plaisir très égoïste, puis il s’étend, s’ouvre, me permet de me recentrer, de me réconcilier avec le monde. Lire, c’est aussi le plaisir de se sentir vivant intellectuellement, ou au moins d’en avoir l’illusion. Pour choisir un livre, j’aime plus que tout les recommandations de certains amis. A défaut, je questionne les libraires… Je vais dans plusieurs librairies au gré des balades et je fréquente souvent L’Ecume des pages boulevard Saint-Germain. J’évite les critiques des journalistes, ils ne font que répondre à un flux, alors comment s’y fier ?. Actuellement, je savoure le livre de Dan Fante, La tête hors de l’eau.
Dominique A : l’incitation est contre-productive
Je ne dirais pas que la lecture c’est ma vie, mais ça y ressemble ! Je lis tout ce qui me tombe sous la main, il n’y a pas une journée où je ne lis pas. L’écrit a presque supplanté la musique dans mon rapport à ce que je fais. Mais pour garder le plaisir de lire, je dois veiller à ce que la lecture ne devienne pas une matière première pour composer ensuite. Lire comble peut-être une certaine peur de vivre, c’est aussi une façon de ne pas rien faire, d’être dans une activité et non dans une passivité. C’est comme ça depuis toujours : quand je vivais avec mes parents, fils unique, dans la plaine provinoise, la lecture était une bouée de sauvetage, un véritable rempart contre l’ennui.
Mon fils de 14 ans, lui, aime les mangas. A un moment, on avait une espèce de rituel : je l’emmenais dans une librairie de mangas et de BD, on prenait chacun un livre et on allait dans une brasserie lire l’un en face de l’autre. Depuis quelques mois, je fais des chroniques dans Le Monde. Je trouve extrêmement dur de donner envie de lire. Parce qu’il est difficile de savoir ce que l’on a aimé dans un livre et de savoir le communiquer.
Auteur-compositeur-interprète, victoire de la musique 2013. Dernier album : Vers les lueurs, 2012. A publié Y revenir (Stock, 2012).- Photo FRANK LORIOU
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Le problème, c’est que tout ce qui est de l’ordre de l’incitation me paraît contre-productif. Le livre a un côté tétanisant pour les gosses. Tout petits, il faut leur mettre des bouquins dans les mains, leur donner ce plaisir de lire, le plaisir tactile.
Bernard Tschumi : développer une stratégie de l’objet
Je mettrais les livres dans trois catégories différentes, et sans ordre de valeurs : le livre de collectionneur, que l’on veut avoir dans sa bibliothèque, et qui compte pour son apparence autant que pour son contenu. A l’autre extrémité, celui que l’on met dans sa poche, un manifeste, un roman qui se lit dans le métro, qui peut facilement être remplacé par une liseuse, même si je préfère le livre papier car j’ai plaisir à écrire des choses en marge.
Architecte (réalisations en cours : zoo de Vincennes ; ville nouvelle de 40 000 habitants à Saint-Domingue ; Carnal Hall, pour l’école du Rosey à Rolle) et professeur à l’Ecole d’architecture de l’université de Columbia. Vient de publier Architecture concepts : red is not a color chez Rizzoli.- Photo MARTIN MAI
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Par exemple Petite poucette de Michel Serres ou Mythologies de Roland Barthes. Entre les deux, en laissant de côté les informations techniques plus faciles à consulter sur Internet, il y a ces livres intéressants qui ne sont pas de la consommation courante, mais que j’aime avoir en ouvrages de fond, comme La modification de Michel Butor. Les livres sont mes racines, j’en possède 10 000 à 12 000, et avoir dû m’en séparer le temps d’un déménagement m’a rendu très malheureux. Quand un livre me plaît, j’en parle à tout le monde, mes enfants, mes étudiants, j’en fais une véritable propagande. Mais que faire pour aider le livre ? Je me repose la question de l’objet, car j’aime l’avoir dans la poche ou sur la table. Il faut développer une stratégie de l’objet, l’amener à être différent de ce que l’on peut avoir sur un écran.
Serge Cajfinger : jouer davantage sur les parfums, les touchers…
Chaque lecture est un voyage dans des contrées plus ou moins lointaines, une rencontre avec des protagonistes du monde moderne ou des siècles passés… C’est aussi un moyen d’apprendre à mieux se connaître en étant confronté à des réalités ou à des rêves auxquels nous n’aurions pas accès dans notre quotidien. D’ailleurs, si je parle de mes coups de cœur à mes proches, je garde aussi certaines lectures pour moi seul.
Président fondateur et directeur artistique de Paule Ka, il a présenté en février sa collection automne-hiver 2013-2014, intitulée « Uptown/downtown ».- Photo PAULE KA /DR
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Il y a un côté intime dans la lecture… de même que dans le rapport que l’on peut avoir avec l’objet livre. Un livre, c’est d’abord une couverture qui donne envie, qui interroge, qui intrigue. Ce sont des pages à tourner avec lesquelles s’établit un contact tactile. Le toucher doit donc en être agréable, doux… Mais pourquoi ne pas envisager qu’il soit différent en fonction de l’évolution de l’histoire ? L’odeur des livres, aussi, est particulière. Il peut là encore y avoir une façon d’accrocher le lecteur. Peut-être faut-il envisager autrement l’objet livre, en jouant davantage sur les parfums, les touchers…
Ekoué Labitey : l’écrivain en "live"
Force est de constater que le spectacle vivant résiste davantage aux bouleversements que nous impose le numérique, pourquoi ne pas créer des dispositions similaires à ce qui existe dans la musique et le théâtre ? A l’instar des réseaux de salles de concerts, il serait intéressant de motiver les différents acteurs du livre à la création de tournées d’écrivains, en s’appuyant sur les mêmes outils de promotion : campagnes d’affichage, distribution de tracts, etc.
Rappeur français, membre du groupe La Rumeur (Tout brûle déjà, 2012).- Photo DR/FRANCE2
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Quelques expériences nous montrent qu’un CD peut parfaitement se vendre avec un livre. Je suis persuadé qu’un écrivain a également valeur à dispenser une prestation « live » de son ouvrage, comme un chanteur, un musicien, un DJ qui décline son répertoire devant un public acquis ou non d’avance. A mon avis, un auteur prenant le « risque » de narrer des extraits de son livre motivera davantage le public à s’intéresser à son œuvre. J’aimerais pouvoir me rendre à ce genre de séance avec quasi le même engouement que lorsque je me déplace pour assister à un concert ou une pièce de théâtre. Le modèle bien éculé de la séance de dédicace devrait pouvoir s’adjoindre systématiquement une lecture faite par l’auteur suivi d’un débat.
Julie Gayet : pour le choix des mots
Comédienne, productrice, elle sera Valérie Dumonthil dans l’adaptation de la BD Quai d’Orsay réalisée par Bertrand Tavernier.- Photo CHRIS ASHFORD/GAMMA
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Avec le temps, je m’aperçois que la seule chose qui m’a toujours accompagnée au fil de ma vie, de mes déménagements, ce sont mes livres. Je ne suis attachée à aucuns vêtements ou objets, sauf à mes livres. La littérature est une porte ouverte vers le monde, un voyage dans l’imaginaire. Je ne lis pas pour trouver un sujet. J’aime la littérature pour le choix des mots, le ton, l’univers, pas l’histoire. Je n’aime pas les polars par exemple, je préfère la poésie ou les essais philosophiques. En revanche, je peux avoir besoin de lire pour me documenter sur un sujet quand je fais un film. Pour choisir mes livres, j’aime traîner dans les librairies, La Hune, L’Ecume des pages, Les Cahiers de Colette… Quand je voyage, je vais visiter les supermarchés et les librairies, comme Archambault à Montréal. Je recommande les deux livres d’Oscar Coop-Phane, Zénith-Hôtel et Demain Berlin.
Christophe Michalak : une gymnastique du cerveau
Lire c’est une gymnastique du cerveau, il faudrait perpétuellement pratiquer ce sport mental !
La lecture m’apporte le plaisir de me sentir évoluer. Lorsque j’aime un ouvrage, j’en parle à absolument tout mon entourage !
Chef pâtissier de l’hôtel Plaza Athénée. Il vient de publier Best of de Christophe Michalak aux éditions Alain Ducasse.- Photo STEPHANE DE BOURGIES
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Bita Azimi : un "film de mots", qui vous accroche l’esprit, le cœur
Architecte, elle est le A de l’agence CAB (Calori, Azimi, Botineau), lauréate du prix de l’Equerre d’argent 2012 pour le pôle petite enfance de La Trinité. Projet en cours : nouveau bâtiment de l’Ensae (Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique).- Photo SERGE DEMAILLY
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Dans notre société survoltée, nous choisissons rarement ce que nous désirons percevoir du monde. La lecture nous apporte le choix d’aller vers un livre, s’isoler du monde, s’évader, s’apaiser par la concentration… A la différence d’un film, elle offre une stimulation d’images intenses et intérieures, un « film de mots », qui vous accroche l’esprit, le cœur… Et paradoxalement, en s’échappant vers d’autres histoires, on s’approche de soi.
Les livres sont des passerelles entre les gens. Dans notre travail à trois, nous avons des lectures communes, souvent reliées de façon détournée à l’architecture, en prise directe avec les questions que nous nous posons. Elles deviennent alors le ferment d’un enthousiasme et d’une effervescence commune.
La dématérialisation pourrait laisser penser que « l’objet livre » entrerait dans une dimension virtuelle, dans une certaine « modernité ». Pour notre génération, le rapport tactile et sensuel avec l’ouvrage est toujours présent. En architecture, les espaces sont de plus en plus spécifiques et dédiés à des fonctions qui prédéterminent des usages. Le livre doit au contraire coloniser tous les lieux, de la sphère privée au domaine public. Il pourrait quitter les espaces spécifiques, les bibliothèques, les salons, pour pénétrer de façon inattendue dans les cafés, les places, les parcs. Il serait nécessaire de le voir partout avec cette idée que les livres racontent nos vies, sont des concentrés de nos propres histoires et qu’en cela ils sont nos extensions.
Abd Al Malik : des caravanes d’écrivains
Artiste slameur (Albert Camus, Grand théâtre de Provence, à Aix-en-Provence, à partir du 12 mars).- Photo GAMMA
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Chacun doit témoigner de l’influence que la littérature a eue sur lui. Prêcher par l’exemple, en quelque sorte. Ainsi, pour ma part, mon prochain spectacle, qui sera créé à la mi-mars au théâtre d’Aix et tournera ensuite, est consacré à Albert Camus, avec des danseurs, des musiciens, et une lecture de mes propres textes. J’ai eu la chance, quand j’étais au lycée à Strasbourg, d’avoir des contacts avec des écrivains qui venaient nous parler. C’était une rencontre avec la passion. D’autre part, je suis un peu nostalgique des grands mouvements littéraires du siècle dernier, comme le surréalisme ou le nouveau roman, qui réunissaient des écrivains sur des thématiques, des expériences ou des positions communes. Ne pourrait-on pas imaginer, à côté des salons du livre traditionnels, des salons itinérants, sorte de caravanes d’écrivains qui iraient de ville en ville, de quartier en quartier, à la rencontre du public ? Pour réenchanter le livre, il faut que les auteurs « mouillent leur chemise » et aillent vers le public, là où il se trouve, surtout vers ceux qui, d’habitude, ne lisent pas.
Sylvie Testud : des histoires, sinon rien
Comédienne (Une chanson pour ma mère, de Joël Franka, 27 mars 2013), romancière.- Photo SERGE BENHAMOU/GAMMA
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Si ce n’est pas pour lire des histoires qu’on apprend à lire, c’est qu’on apprend à lire pour lire des contrats, des panneaux de direction, voire desprocès-verbaux… Mieux vaut rester analphabète!
Antoine de Caunes : un rituel lié à l’enfance
Acteur, réalisateur.- Photo OLIVIER GARROS/RAPHO
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Une journée sans lecture, c’est une journée incomplète. J’ai besoin de me plonger dans un livre (roman, essai), pour m’abstraire de mon monde et pour me promener dans un autre. C’est très lié à l’enfance en fait, au rituel de l’histoire qu’on raconte avant le sommeil. Il n’y a plus d’images, plus de son, que les yeux et le texte, et tout cet imaginaire qui se trouve aussitôt convoqué. J’offre à tous mes amis les livres qui m’ont renversé. J’en parle partout autour de moi. Je twitte. Un livre est fait pour être partagé, pour circuler. Et puis ça oblige à en parler le mieux possible, pour convaincre l’autre, et à chaque fois le propos s’affine, au point qu’on finit par découvrir de nouvelles pépites quand on croyait avoir épuisé le filon. Un livre est un objet qui vous accompagne, qui s’imprègne de vous autant que vous vous imprégnez de lui. Le contact avec le papier, son odeur, le plaisir qu’on a à l’avoir à portée de main, à le serrer contre soi, à l’annoter. Il y a quelque chose de très sensuel là-dedans. Plus - en tout cas pour moi - qu’avec une tablette.
Le bon argument, ce serait peut-être de dire qu’on passe déjà nos vies sur des écrans, et que le livre, c’est un rendez-vous unique personnel, et indépendant de toute servitude électronique. Une échappée belle.
Denis Lavant : la lecture à voix haute, comme relais de transmission
Acteur : à l’affiche des Amours vulnérables de Desdémone et Othello, inspiré d’Othello de Shakespeare, mis en scène par Razerka Ben Sadia-Lavant (en tournée).- Photo POOL BENAINOUS/HOUNSFIELD/GAMMA
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J’ai toujours un livre dans ma poche ! Mais dans un monde dominé par l’image, il est devenu difficile d’amener les gens à la lecture. Pourtant les livres aussi génèrent des images, surtout dans le domaine de la poésie que j’aime tant… peut-être par paresse d’ailleurs, car la pensée de l’auteur y est concentrée en peu de mots !
Souvent méprisée dans le passé, la lecture à voix haute me paraît être un moyen intéressant pour donner le goût de lire. En devenant un relais de transmission, la personne qui lit à voix haute peut éclairer et faciliter l’approche d’écrits a priori obscurs. D’ailleurs, elle-même est amenée à pousser plus loin sa compréhension de l’auteur pour en restituer la pensée.
Pour moi, un texte est comme un matériau déshydraté qui reprend vie lorsqu’on s’en empare. Je dirais même que plus je suis attentif à la syntaxe et au rythme d’un écrit, plus la personnalité de l’auteur me devient présente. C’est merveilleux de pouvoir ainsi ressusciter les auteurs morts !
Miou-Miou : des rendez-vous discrets
Comédienne : Arrêtez-moi de Jean-Paul Lilienfeld, d’après Les lois de la gravité de Jean Teulé, février 2013.- Photo SERGE BENHAMOU/GAMMA
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Puisqu’avec le numérique on n’a plus le même plaisir d’offrir un livre à quelqu’un, de voir son sourire lorsqu’il ouvre le paquet, j’ai eu l’idée, depuis quelques années, de mettre des livres, deux ou trois, une fois que je les ai lus, sur les bancs des abribus de mon quartier. Au début, les gens sont un peu inquiets devant cet acte gratuit, et puis les livres disparaissent en quelques minutes. Après que j’ai lu un livre, il continue de m’accompagner, je n’ai pas besoin de le conserver matériellement. En l’offrant à quelqu’un que je ne connais pas, je suis un peu comme une femme volage qui donne des rendez-vous discrets.
Oxmo Puccino : mettre des phrases poétiques sur Twitter
Rappeur français, surnommé « Black Jacques Brel » : Roi sans carrosse, victoire de la musique 2013.- Photo VINCENT FOURNIER/RAPHO
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Je ne suis pas du tout inquiet pour l’avenir du livre. Le support numérique ne remplacera jamais le papier, qui conserve toute sa magie, toute sa nécessité : je reviens d’une mission Unicef en Guinée, où les enfants manquent dramatiquement de livres. Contrairement à une idée reçue, les gens lisent de plus en plus, écrivent de plus en plus. Je pense que toutes les clefs se trouvent dans les livres, il faut simplement y être initié par quelqu’un qui joue un rôle de passeur. C’est pour ça que je mets sur mon compte Twitter des phrases poétiques, écrites par moi ou bien des citations d’autres auteurs, toujours en rapport avec l’actualité, afin que les gens rebondissent, et aient envie de lire le reste. Rien de mieux, pour trouver son livre, que d’être conseillé par un autre lecteur.
Christian Constant : je les passe à des copains
Chef cuisinier de la Maison Constant (Chez Constant : recettes et produits du Sud-Ouest, M. Lafon, 2012).- Photo STÉPHANE DE BOURGIES
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Je ne suis pas un lecteur assidu, sauf de livres de cuisine et de sport, en particulier sur le rugby. Ce n’est pas que je n’ai pas envie, mais je n’ai pas le temps. Ma mère qui a 93 ans a commencé à lire à 70 ans. J’espère qu’après, comme elle, j’aurai le temps. J’aimerais lire des livres d’histoire, de géographie, des polars, mais en tout cas je ne lirai jamais sur une liseuse : j’ai besoin d’un rapport sensuel avec le papier, le mouvement des pages. Pour l’instant, c’est ma femme, membre d’un bookclub, qui me fait la lecture ou m’offre des livres que je passe ensuite à des copains, des collaborateurs.
François Gabart : une histoire de famille
Vainqueur 2013 du Vendée Globe.- Photo V. CURUTCHET/MACIF
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Dans ma famille de lecteurs, je ne suis pas celui qui lit le plus, mais c’est un plaisir d’ouvrir des livres. Quand j’étais petit, ma marraine m’a fait connaître la collection « L’art en jeu » (Centre Pompidou) et j’ai encore plaisir à relire ces ouvrages. Mes parents et mes sœurs m’apportent des livres régulièrement, c’est un sujet de discussions récurrent dans la famille Gabart ! En ce moment, je suis en train de lire le livre du skippeur Kito de Pavant, Le plus grand navigateur de tout l’étang (Télémaque). Pour le Vendée Globe, j’avais emporté un iPad avec des livres en PDF, mais je n’ai pas eu le temps de m’arrêter une seconde. Globalement, depuis le début du projet, il y a deux ans, j’ai lu très peu, mais je compte me rattraper pendant mes vacances, d’autant que j’ai reçu beaucoup de livres car j’ai des propositions d’éditeurs. J’essaie aussi de transmettre ce plaisir à mon petit garçon d’un an. Il commence à comprendre, toucher, tourner les pages, regarder les images.
Guillaume Gallienne : lire à haute voix
J’adore le métier de libraire. Avoir un bon libraire, c’est génial, c’est comme avoir un bon ostéopathe ou un bon dentiste, c’est un échange très particulier avec quelqu’un qui connaît nos goûts. Mais malheureusement, Internet, les iPad, c’est l’évolution, c’est la vie ! Il y a eu l’imprimerie, et maintenant l’ordinateur, je l’accepte, je ne suis pas passéiste. En revanche, lire sur écran me fatigue d’avance ! Je peux dire que j’aime le papier, son odeur, celle de l’encre, bref tous les lieux communs, mais surtout j’adore tourner la page.
Sociétaire de la Comédie-Française, prochainement à l’affiche avec Un fil à la patte à la Comédie-Française (21 mars au 9 juin) et Oblomov au théâtre du Vieux-Colombier du 7 mai au 9 juin. Egalement à l’affiche des films Yves Saint Laurent et Les garçons et Guillaume, à table !, prochainement en salle.- Photo SERGE BENHAMOU/GAMMA
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Quand un livre est pénible, à chaque fin de page, je me dis : « Et une page de plus! » Le temps de tourner est bien plus savoureusement long que le simple geste du petit doigt, j’adore ça, et l’écran ne le permet pas. Et puis j’ai une mémoire géographique du livre, j’y retrouve un passage facilement.
Comment partager mon plaisir ? Je ne sais pas parler des livres. J’ai rencontré des gens qui le font bien mieux que moi, comme ce critique que j’adore, Alexandre Fillon. Offrir un livre, c’est comme offrir un bijou, et j’adore qu’on m’offre un livre en disant tout simplement : « Tiens, lis ça ! » Malheureusement, j’ai rarement l’occasion de les lire et je rêve d’être, comme mon personnage d’Oblomov que je répète actuellement, sur mon divan avec un plaid. La seule façon que j’ai de partager un livre, c’est de lire à haute voix. Je ne travaille aucune lecture, je plonge, c’est le meilleur moyen de faire plonger les lecteurs, on ne rate aucun virage, sauf parfois peut-être avec Proust. J’aime cette spontanéité que m’offre chaque semaine France Inter, et je suis d’ailleurs parrain des « Petits champions de la lecture », cette opération des gamins qui lisent à haute voix. Oui, c’est cela ma réponse, lire à haute voix.
Ernest Pignon-Ernest : librairie d’intérêt général
Artiste peintre : prochaine exposition au musée des Beaux-Arts de Lille, à partir du 4 avril.- Photo PATRICK BOX/RAPHO
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A mes yeux, le livre est un objet très physique, très sensuel, qui associe la pensée et la main, le sens et le sensible, qui doit être beau, même les livres de poche, et qui, dans le monde de plus en plus déshumanisé qui est le nôtre, doit jouer un rôle de lien, de liant humain. Pourquoi, alors, ne pas accorder aux librairies un statut particulier, presque d’intérêt général, afin qu’elles deviennent des lieux d’échange, de rencontres, de communication ? Il y a une forte demande du public en ce sens, ainsi que l’a démontré le succès des cafés poésie ou des cafés philo. Près de chez moi, place Garibaldi, à Nice, va s’ouvrir prochainement un salon de coiffure-librairie ! On a besoin de ce genre d’initiatives.
Jean-Charles de Castelbajac : des tracts de lecture
Créateur de mode.- Photo ALAIN BENAINOUS/GAMMA
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Il faut imprimer les pages essentielles des livres cultes de grands auteurs (tels que Zola, Hugo, Jules Verne, Steinbeck, Camus…) et les distribuer dans la rue et dans le métro comme des tracts de lecture pour que chaque personne qui pose son regard sur ces pages ait envie de posséder le livre pour en connaître l’histoire entière.
Firmine Richard : une belle prestation à la télévision
Comédienne. Révélée dans Romuald et Juliette, elle a tourné avec François Ozon (8 femmes), Dino Risi et Claude Berri. Avant d’être actrice, elle a été comptable au Bulletin du livre, l’ancêtre de Livres Hebdo.- Photo HARCOURT
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« Je ne lis pas assez à mon goût. Mais j’adore le livre et j’adore le contact du papier. Lire me sert à m’endormir. Comme je lis beaucoup de scénarios, la lecture est pour moi un plaisir, pas un travail. Parfois ce sont les auteurs qui m’offrent leur roman. Il y a des écrivains, comme Maryse Condé, qui vient de m’écrire une pièce de théâtre, que je suis depuis des années. Une belle prestation à la télévision peut me convaincre d’acheter un livre. » Résidant en proche banlieue, elle regrette de ne pas avoir de librairie à proximité de chez elle. « Quand j’habitais à Paris, j’avais Le Merle moqueur à deux pas de chez moi… Je vais généralement à la Fnac : je suis sûr de trouver le livre dont on m’a parlé, et puis je suis abonnée. » L’actrice ne prête jamais ses livres. « Je peux en offrir, en conseiller mais je n’en donne jamais. » Elle les conserve tous, optant ces derniers temps pour le format poche, « plus facile à ranger ».
Michel Jonasz : casser les barrières entre le livre et la vie
Chanteur, comédien, éditeur. En tournée toute l’année 2013, le concert Piano-voix avec Jean-Yves d’Angelo et le spectacle Abraham.- Photo STÉPHANIE VIVIER
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Partout en France, les librairies sont à la peine, à cause notamment des prix des loyers. Pour réagir, les libraires devraient, me semble- t-il, se montrer inventifs, créatifs, afin de décloisonner le monde du livre, de casser les barrières entre le livre et la vie. Par exemple en associant librairie et salon de thé, galerie ou restaurant, de façon plus systématique que ce qui se fait déjà, timidement, ici. Ce genre de choses marche très bien aux Etats-Unis. Et je connais, dans un quartier périphérique de Bruxelles, une grand-place où tous les magasins sont des librairies-restaurants, spécialisées dans un genre de livres : cuisine, musique, enfants… Ça s’appelle Cook and Book, et ça me paraît une idée intéressante, à creuser.
Christian Lacroix : en donner envie comme d’un poison
Couturier (à partir du 17 mai à l’Opéra national du Rhin de Strasbourg pour les costumes des Pêcheurs de perles, opéra en trois actes de Georges Bizet).- Photo PHIL FISK/CAMERAPRESS/GAMMA
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Le plaisir que je peux éprouver pour la lecture est d’abord physique, lié à ce tête-à-tête avec un auteur. Ou avec soi-même puisque, comme le voyage, la lecture est un miroir tendu à soi et au monde, une recherche, une démarche. Il y a l’objet, sensuel pour moi, le papier entre les mains, non dénué d’une certaine vie, son odeur et celle de l’encre, à moins que ce ne soit lié à mon souvenir et à mon imagination maintenant que… Mais par exemple, en ce moment, c’est un vieux recueil des Journaliers de Marcel Jouhandeau que j’ai emporté avec moi, déniché en solde aux étalages de la librairie Delamain, place du Palais-Royal. Car ces vies en strates qu’un livre peut connaître font partie de mon plaisir. Ou cette vie tardive, quarante ans après être sorti, de se voir ouvrir, jauni. Comme une bonne bouteille qui a patienté. Je recherche ainsi les bizarreries, les textes inconnus, les auteurs injustement obsolètes. Je lis rarement les livres qui font « battage ». C’est un peu un vêtement un livre, et pour moi le vêtement n’est pas l’accessoire clinquant acheté pour parader, mais une relation quotidienne avec quelque chose qui vous devient une seconde peau, visible mais intimissime, qui peut vous raconter à qui sait observer.
Je partage peu avec les autres, ou simplement avec quelques amis appartenant au même phalanstère adepte de « sérendipité ». Enfin, si je suis bien conscient des difficultés actuelles ressenties presque dans ma chair, je ne peux hélas me considérer comme celui qui aura l’idée de génie susceptible d’infléchir la machine. J’aime l’idée des livres laissés sur les bancs. Mais je n’aime pas qu’un livre soit gratuit car on ne respecte pas ce qui est gratuit. Peut-être faudrait-il en proposer partout, comme des friandises, le long des queues à la caisse des supermarchés, mêlant ouvrages récents et volumes de bouquiniste, en vrac, pour tous les goûts, en mettre dans les salles d’attente des hôpitaux et des dentistes, à l’ANPE, dans les fast-foods, pourquoi les maisons d’édition ne passeraient-elles pas encore plus d’accords avec les transports en commun, les enseignes de restauration rapide, mais aussi les hôtels, les cafés, les salles de spectacle, partout où l’on attend. Il faut aussi le rendre attractif sans lui faire faire le trottoir, être hyperattentif à l’esthétique, la typo, le papier, l’image s’il y en a une. Laisser traîner ou plutôt aiguiser à mort nos antennes pour découvrir et donner leur chance à des auteurs, même si le succès n’est pas évident, utiliser l’ennemi, c’est-à-dire la Toile, pour faire connaître les livres, en donner l’envie, comme d’un poison auquel il serait dangereux de s’adonner.
Angelin Preljocaj : la danse est l’apocalypse du texte
Danseur et chorégraphe, a adapté des textes de Pascal Quignard ou de Laurent Mauvignier en ballets et prépare, dans le cadre de Marseille-Provence 2013, Les nuits, création autour des Mille et une nuits.- Photo UCAS MARQUAND-PERRIER
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Jeune danseur, encore à l’école, j’ai été très vite assoiffé de lectures. Une des plus fortes rencontres fut Le funambule de Jean Genet, un texte sur l’apprentissage qui produit sur quelqu’un du spectacle vivant le même impact que les Lettres à un jeune poète de Rilke pour une personnalité de l’écrit. Les livres me remettent en selle quand j’ai des moments de doute. Ils sont sans arrêt sources d’inspiration. Je ne peux pas envisager une nouvelle création sans m’appuyer sur un texte. Je lis énormément, passe des heures en librairie, à la recherche d’un verbe très incarné. Et lorsqu’un livre me touche, comme dernièrement Cequej’appelle oubli de Laurent Mauvignier, quand, hanté par les corps, il produit un tel choc, une telle émotion sur moi, je le fais partager à travers une chorégraphie pour qu’un plus large public le découvre. La danse est l’apocalypse du texte, pas comme chaos mais dans le sens étymologique (du grec, apo-kalupto : « ôter le voile »), elle révèle les mots et ramène à la fin au livre.
Vikash Dhorasoo : lire, c’est cool
Ancien footballeur international, cofondateur du mouvement Tatane « pour un football durable et joyeux ».- Photo FREDERIC SOULOY/GAMMA
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On ne lisait pas beaucoup dans ma famille, et à l’école, je lisais ce qui était imposé, je n’allais pas dans les bibliothèques. J’ai découvert ce plaisir vers mes 20 ans, grâce à la mère de mes enfants. A mon époque, il n’y avait pas encore les téléphones portables. Je passais beaucoup de temps à attendre pendant les matchs de football, alors je lisais. Je m’y suis mis aussi grâce à Daniel Pennac, qui disait qu’il fallait être libre, qu’on pouvait arrêter de lire un livre, ou encore le reprendre plus tard. En ce moment je lis L’art du jeu de Chad Harbach (Lattès, 2012), l’histoire d’une star du baseball qui rate un lancer. Ce sujet me parle car j’ai créé une association, Tatane, contre l’échec du foot business. Lire, c’est cool, ce n’est pas quelque chose qui doit être imposé. Pour transmettre ce plaisir aux enfants, il faudrait que la lecture ne soit plus quelque chose de subi à l’école. La lecture devrait toujours être un plaisir : c’est s’inventer un monde, se créer un imaginaire, rêver. Mes filles, qui sont maintenant de grandes lectrices, ont appris à aimer lire. Je leur lisais des histoires quand elles étaient plus petites. J’aime bien traîner dans les librairies avec elles, notamment à L’Atelier (Paris XXe). Il y a beaucoup de livres à la maison, ça leur donne envie de lire. Il faut les laisser s’ennuyer. Par exemple, quand on leur demande d’éteindre la télévision, prendre un livre sera peut-être la solution à leur ennui. La lecture doit être une proposition, pas une obligation.
Interpellé en Algérie le 16 novembre dernier à son retour de France, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal n’a plus donné de nouvelles depuis cette date. Ses éditeurs Gallimard et Cerf font part de leur vive inquiétude. Dans un communiqué, Gallimard appelle à sa « libération immédiate ».
Le Congrès annuel de l’Association des maires de France, qui s’est tenu à Paris du 19 au 21 novembre, a mis le doigt sur les difficultés économiques des communes. L’occasion de formuler des pistes de financement auxquels les médiathèques et librairies sont éligibles.
Alors que l’intelligence artificielle s’immisce de plus en plus dans la chaîne du livre, des éditeurs ont décidé d’accepter que l’intelligence artificielle puise dans le contenu de certaines œuvres, en échange d’une rétribution financière. Une démarche qui ne convainc pas tout le monde.
Par
Élodie Carreira
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