5 février > Roman Canada

Larry Tremblay- Photo DR/LA TABLE RONDE

Aziz et Amed ont 9 ans et sont des vrais jumeaux que leur grand-mère paternelle Shahina confond toujours. Deux frères fusionnels et complémentaires, "la main et le poing", dit d’eux leur mère Tamara. Ils vivent près d’une orangeraie plantée par leur grand-père Mounir qui a "réussi à faire pousser des oranges là où il n’y avait que du sable et des pierres", un éden vert et parfumé en plein désert dans un pays sans nom, évoquant intensément certaines terres brûlées du Moyen-Orient. Mais, tout près de l’orangeraie miraculeuse, une guerre ancestrale tue et les grands-parents sont assassinés dans leur maison par une "bombe venue du versant de la montagne où le soleil se couche".

Images simples et fortes, nombreux dialogues aussi banals qu’essentiels, sobre théâtralité..., dès les premières pages, l’écrivain et dramaturge québécois Larry Tremblay enchâsse la tragédie dans le conte poétique. Aziz dit à son frère : "Les bruits ne font plus le même bruit, et le silence, on dirait qu’il se cache comme s’il préparait un mauvais coup." A peine les grands-parents enterrés au milieu des orangers, apparaît Soulayed, un combattant armé venu d’un village voisin. Il réclame des représailles, vient recruter un martyr. Promet le Ciel à l’élu, et l’honneur sauvé à sa famille. "La vengeance est le nom de ton deuil", assure-t-il à Zahed, le père, le mettant face à un choix impossible et cruel. Le candidat à la mission suicide sera l’un des deux garçons, mais lequel ? Qui portera la ceinture d’explosifs pour faire sauter, de l’autre côté de la montagne, le camp militaire des ennemis, ces "chiens" ? Le père tranche, mais la mère désapprouve. Cette mère, impuissante - "Dieu seul le sait", répète-t-elle - mais combative, à sa manière, qui médite le soir sur un banc en regardant la lune qui "certaines nuits lui fait penser à une empreinte d’ongle dans la chair du ciel". C’est elle, avec la complicité de l’un des jumeaux (dire lequel serait déflorer une donnée cruciale du dilemme qui déchire les parents mais aussi les deux frères), qui va aller contre la décision de son mari et imaginer un échange.

Plus explicite et démonstrative dans ses terribles leçons, moins allégorique, la deuxième partie du roman reprend l’histoire une dizaine d’années plus tard au Canada où le frère épargné achève une formation d’acteur et a été choisi par un auteur et metteur en scène de théâtre pour un rôle qui va livrer des éclaircissements autant que d’ultimes questions, révélant avec toute l’étendue du sacrifice la culpabilité sans armistice des survivants. V. R.

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