Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, premier roman de l’ancien journaliste suédois Jonas Jonasson, fut l’un des plus improbables best-sellers de ces dernières années. Traduit dans une trentaine de pays, il s’est vendu, en France (Presses de la Cité, 2011), à un million d’exemplaires, toutes éditions confondues. Après des débuts aussi fracassants, l’auteur aurait pu poursuivre dans la même veine. Il a préféré, sans changer vraiment d’inspiration, monter d’un cran ses ambitions. Avec L’analphabète qui savait compter, Jonas fils de Jonas a accouché d’une baleine romanesque, dans les dédales de laquelle on peine parfois à se retrouver.
L’analphabète, c’est Nombeko Mayeki, une pauvre orpheline, noire, née près de Soweto, au début des années 1960, dans l’Afrique du Sud de l’apartheid. Quand commence le récit, elle a 14 ans. Elle ne sait peut-être pas encore lire, mais le vieux Thabo le fou, un pervers pépère fan de Neruda et riche en diamants, lui apprendra. C’est une gamine intelligente et surdouée pour les chiffres. Les langues aussi. Outre l’afrikaans, l’anglais, elle apprend le chinois grâce à ses copines, trois sœurs immigrées. Après avoir débuté comme chef des latrines de son secteur, elle est embauchée comme domestique chez l’ingénieur Van der Westheuzen, un abruti alcoolique, censé diriger tout l’arsenal nucléaire de l’Afrique du Sud ! Durant les années où elle restera à son service, Nombeko se forgera une solide culture, maîtrisera le nucléaire mieux que son patron qu’elle tirera de situations épineuses, et servira d’interprète lors de la visite à Johannesburg d’un obscur fonctionnaire chinois, Hu Jintao.
Pendant ce temps-là, en Suède, Ingmar Qvist, un royaliste fanatique, essaie de rencontrer son idole, Gustave V. Il y parvient, mais le monarque le repousse. Ingmar change alors radicalement, devenant républicain, voire terroriste. L’un de ses fils jumeaux, Holger 1, reprendra le flambeau après sa mort. Tandis que son frère, Holger 2, plus calme, se contentera de rattraper les bourdes de l’autre.
Par quel caprice du destin ces personnages vont-ils se retrouver un beau jour à Stockholm, en 2007, embarqués dans une saga burlesque, avec une bombe atomique cachée dans un camion de pommes de terre, en compagnie du roi Charles XVI Gustave et de son Premier ministre ? C’est là le nœud de l’intrigue, où un agent du Mossad et Hu Jintao, devenu président de la République populaire de Chine, jouent un rôle important. Non dénué d’arrière-pensées géopolitiques, L’analphabète se situe moins dans la séduction immédiate que Levieux… Il est plus profond. Jean-Claude Perrier