Après le succès de son roman de 1963 Le mur invisible, une robinsonnade postapocalyptique devenue un véritable manifeste éco-féministe, paru en français chez Jacqueline Chambon en 1985, repris en poche dans la collection Babel en 1992 et dopé en janvier dernier par les préconisations de l'illustratrice Diglee sur son compte Instagram, ce Une poignée de vie de l'Autrichienne Marlen Haushofer (1920-1970) sont attendues par de fervents lecteurs. Situé entre les années 1920 et les années 1950, dans une petite ville d'Autriche, ce roman publié en version originale en 1955 convoque dans une veine plus réaliste les mêmes questionnements autour de la condition féminine et de sa soumission à l'ordre patriarcal des trois K (Kinder, Küche, Kirche/Enfants, cuisine, église) de l'époque. Envisageant d'acquérir ce qui fut sa maison familiale, une femme de 45 ans, Betty, que tout le monde croit morte noyée dans une rivière 20 ans plus tôt, arrive en étrangère, incognito, chez Käthe, une de ses amies de jeunesse qui, après sa disparition, a épousé son mari récemment décédé et élevé leur fils.
Le temps d'une nuit dans une chambre de son ancien foyer, devant des photos et les cartes postales retrouvées dans un tiroir, Betty revisite son passé jusqu'à ses 25 ans, jusqu'à ce qu'elle déserte définitivement son rôle d'épouse et de mère : le quotidien réglé du couvent où elle a passé une partie de son enfance et de son adolescence. Puis la vie conjugale faite de confort douillet et d'ennui, la liaison adultère sans amour et non sans dépendance avec un homme plus âgé.
Partout, tout le temps, la même ambivalence, ce qu'elle appelle sa « duplicité », une « secrète déloyauté ». Le conflit entre attirance et répulsion qu'elle a toujours ressenti dans les relations aux autres. Le sentiment d'être un « poison », incapable de s'abandonner à tout attachement par peur d'en être captive. Une âme animée d'une « soif d'inatteignable », avec pour toute boussole sa sensualité instinctive. « Elle n'avait jamais été capable de désobéir à son corps. »
S'il y a des points communs avec la femme naufragée dans la forêt dans un monde sans humains derrière Le mur invisible, c'est la solitude de cette héroïne dont la désormais classique Marlen Haushofer enregistre les moindres vibrations de la conscience. Une solitude existentielle : le prix d'une liberté tout aussi essentielle, conquise durement, dans le retrait intérieur puis, la fuite.
Une poignée de vies - Traduit de l'allemand par Jacqueline Chambon
Jacqueline Chambon
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 22 euros ; 192 p.
ISBN: 9782330130343