C’est une banlieue proprette et coquette, où les jours se succèdent, "tristes et brumeux, comme si le cœur de ses habitants s’était retiré loin dans leur poitrine". Le gris se glisse partout, même sous la peau des enfants. Le narrateur, un jeune garçon, se fait de la bile pour Félicie, sa petite sœur, "si petite et déjà transparente comme une eau gelée". Le jour de son anniversaire, la belle demeure brille de tous ses feux et les convives affluent, souriants et endimanchés à souhait. Mais voilà que les boissons se mettent à pétiller dans les carafes et que les chignons des dames se défont tout seuls. Quant aux nappes, elles se gonflent mystérieusement et pourtant nul souffle de vent n’est perceptible.
Autre surprise de taille, la directrice de l’école arrivée en tailleur austère se retrouve en robe longue fendue sur la hanche. Mazette ! Et que dire du père ? Lui d’habitude si sobre, il se met à entamer un air d’opéra italien avec un accent digne d’un grand baryton ! La petite sœur, elle, voit ses cheveux pousser jusqu’à terre. Les couleurs arrivent par rafales et les costumes noirs se retrouvent à présent envahis de pois ou de rayures vives. Le frère et la sœur passent la nuit dans l’émerveillement du rose, du jaune et du pourpre qui ont mis main basse sur la ville. Le lendemain, ils se réveillent comme si de rien n’était. Les rues sont à nouveau pleines de gens ternes et pressés. Cette histoire signée par Sandrine Bonini montre le pouvoir de l’imaginaire apte à changer la vie et la ville. Au dessin, la jeune Audrey Spiry fait péter les couleurs vives et s’en donne à cœur joie. Sa palette illumine cet album qui tourne comme un manège.
Fabienne Jacob
