Tout a commencé, comme souvent, dans une cour de récréation, sans doute dans les années 1950. Rosette, jeune Normande qui ne s’appelait pas encore comme cela, précoce, embrasse son premier garçon, "un rouquin à la peau laiteuse" qui "ne [lui] plaisait pas du tout", d’ailleurs. Ils avaient 6 ans ! "Si le grain ne meurt", aurait dit Gide. Mais, à partir de ce Pierre fondateur, la gamine devenue jeune fille, puis femme, actrice (d’Eric Rohmer notamment), réalisatrice de courts-métrages, puis aujourd’hui romancière, a décidé de dérouler le fil de ses souvenirs, suivant les (nombreux) amants - "moins de mille et plus de cent" - qu’elle a bibliquement connus : "cueillis" ou "croqués", dit Rosette joliment.
Depuis son "vrai premier", Pascal, de Caen, qui l’a dépucelée, puis qu’elle a trompé avec son frère aîné, Xavier, un photographe qui lui a fait découvrir ce Paris artistique et mondain qu’elle ne tardera pas à conquérir, à sa façon. Durant cinq ans, étudiant tout en vivant de petits boulots - marchande de roses dans les cafés, bistrots et boîtes de Saint-Germain-des-Prés, par exemple, lieux parfaits de rencontres et de drague -, elle va mener une liaison avec les deux frères, puis avec Xavier seul. "Suis-je une salope ?" feint-elle de s’interroger.
Non, juste une petite-bourgeoise provinciale en rupture de ban qui, après la mort de son père (évoquée dans son premier roman, Le grand méchant père, Grasset, 2008), ressent le besoin de s’étourdir pour ne pas sombrer. "J’étais légère, j’étais facile." "Pas farouche", donc, elle multiplie les aventures avec des tas de François, qu’elle trouve souvent, une fois l’excitation retombée, "fades". Elle fait ses débuts au cinéma, dans La vie comme ça - tout un symbole - de Jean-Claude Brisseau. Au théâtre, on la surnomme Froussette. Elle commence à travailler avec Rohmer, avec qui elle a des "rapports filiaux". Elle fréquente la jet-set (François-Marie Banier, Yves Saint Laurent ou Sagan), tombe même amoureuse de Chris, un Californien, mais ça se termine mal…
Enumérant les hommes de sa vie, c’est tout son parcours, presque banal en ce temps-là, que raconte Rosette, avec humour, vivacité. Faux cynisme et vraie tendresse, puisqu’elle a fini par rencontrer le grand amour, Fred, "l’unique", à qui le livre est dédié, et que leurs corps ne font plus qu’un, "au moins jusqu’à la mort". C’est tout le mal que l’on souhaite à cette femme attachante qui, par-delà le genre qu’elle s’est choisi - l’autofiction, pour faire simple -, ressuscite un monde enfui et mythique, le Saint-Germain-des-Prés de la grande époque, où, comme dit la chanson, "il n’y a plus d’après". J.-C. P.