Soldes

Le numérique en promo

Fanny Ruph, directrice du circuit e-commerce chez Interforum. - Photo Olivier Dion

Le numérique en promo

Loi Lang oblige, le livre papier ne peut participer aux soldes d'hiver, ouverts le 9 janvier. Mais le numérique place toute l'année les opérations de baisse des prix au cœur de sa stratégie de développement. _ par Hervé Hugueny

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Par Hervé Hugueny
Créé le 11.01.2019 à 11h34

Le bûcher des vanités à - 67 %, La servante écarlate à -64 %, Les piliers de la Terre à - 60 % (Robert Laffont), La femme du guerrier à - 58 % (Harlequin), ou encore Dépolluez votre graisse interne à - 50 % (Albin Michel), et même le tome 1 de Thorgal... gratuit (Le Lombard) : alors que, dans le livre imprimé, les éditeurs se trouvent exclus de la valse saisonnière des étiquettes, dans le numérique ils participent activement aux soldes d'hiver, comme ils ne ratent pas ceux de l'été, ni n'oublient les promotions de la Saint-Valentin ou du Black Friday, venu des Etats-Unis. Ils proposent aussi ponctuellement « 3 livres pour le prix de 2 », les intégrales d'un auteur ou d'une série, des titres du fonds bradés lors de la publication d'une nouveauté, etc. « Nous vendons très bien en janvier, qui est un des mois les plus forts en numérique, mais les opérations de promotion s'égrènent tout au long de l'année », reconnaît Eric Marbeau, responsable des partenariats et de la diffusion numérique du groupe Madrigall.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

De fait, au format numérique, les réductions sont quasi permanentes chez tous les revendeurs. A l'unisson des autres distributeurs numériques, Numilog a investi « dans les programmes nécessaires pour transmettre ces barèmes tarifaires à tous les libraires », explique Denis Zwirn, P-DG de l'entreprise spécialisée dans les services au livre numérique. Aidés par les diffuseurs, les libraires ont aussi pris leurs dispositions pour animer leurs pages d'accueil avec ces rabais, qui se sont multipliés bien au-delà des « ventes flash » quotidiennes d'Amazon. « Nous proposons maintenant trois livres par jour à - 70 %, mais aussi une centaine de titres à - 50 %, renouvelés tous les mois », indique Jean Vahl, responsable du contenu de Kindle.

Début janvier, ePagine recensait environ 550 titres en promotion, en cours ou dans les quatre semaines à venir. « Entre nos opérations et celles que nous proposent les revendeurs, nous réalisons près de 150 campagnes de promotion par an »,estime Fanny Ruph, directrice du circuit e-commerce (papier et numérique) chez Interforum, filiale diffusion-distribution d'Editis.

Les éditeurs ont appris à maîtriser ce marketing par le prix que permet le numérique, en raison de la facilité à changer les tarifs par rapport à l'imprimé. Certains d'entre eux sont aujourd'hui convaincus que les lecteurs numériques sont drogués aux rabais. « J'ai tenté des campagnes de publicité sur Facebook ou Amazon sans toucher au prix, elles sont restées sans effet. Les ventes stagnent et ne décollent qu'avec des réductions », regrette Stéphane Chabenat, gérant des éditions de l'Opportun, qui fixe pourtant ses tarifs numériques près de 50 % au-dessous de ceux de l'imprimé.

« Sur Internet, les lecteurs sont d'abord motivés par la recherche des bonnes affaires, mais c'est un attrait universel », nuance Luc Bourcier, directeur général d'Izneo, à la fois plateforme de diffusion-distribution spécialisée dans la bande dessinée et librairie numérique. Confrontée à un piratage endémique, encore plus virulent dans le manga, la BD multiplie les promotions organisées comme autant d'événements particuliers, « pour ne pas donner l'impression d'une braderie permanente ».

Effet d'élasticité

Le Festival d'Angoulême, fin janvier, fournira le motif d'une nouvelle opération, mais le Black Friday, organisé fin novembre, reste le temps fort du site. Cette année, quelque 1 000 albums en promotion ont généré « plusieurs dizaines de milliers d'euros de chiffre d'affaires. Il y a un réel effet d'élasticité des prix : nous avons constaté qu'une baisse moyenne des prix de 20 % peut générer 50 % de hausse des recettes », assure le DG d'Izneo.

Bragelonne a instauré son propre événement : la « grosse opération ». « Depuis trois étés, nous proposons 100 titres par jour à 0,99 euro pendant cinq jours, et la totalité des 500 pendant le week-end. Nous avons atteint 170 000 ventes l'an dernier, notre record jusqu'à maintenant », se félicite Jérôme L'Hour, responsable du développement commercial de l'éditeur spécialisé dans la fantasy, la SF et la romance.

« Une promotion relance le cycle de vie d'un livre en le faisant réapparaître dans le classement des meilleures ventes. Cela lui redonne de la visibilité et prolonge les effets de l'opération alors que le prix est revenu à son niveau antérieur », explique Emilie Mathieu, P-DG de e-Dantès, diffuseur numérique en pleine expansion, qui vise les 7 millions d'euros de chiffre d'affaires cette année. Tous les acteurs de la chaîne y trouvent leur compte : « prise de part de marché pour un éditeur, recrutement et fidélisation des clients pour un revendeur, et élargissement de sa communauté de lecteurs pour un auteur », assure-t-elle.

Les éditeurs maîtrisant les prix, sous réserve d'accepter quelques conditions des principales plateformes, le numérique est donc le support de toutes les expérimentations. « Nous avons réalisé de nombreuses études et tests, nous ne nous interdisons rien, y compris la gratuité, ponctuelllement, et il faut surveiller le marché en permanence : ce qui était vrai il y a deux ans ne l'est plus forcément aujourd'hui », explique Fanny Ruph. Mais il existe quand même quelques principes bien établis : « La seule baisse ne produit presque aucun résultat », affirme la directrice du e-commerce, ajoutant qu'il faut toujours construire une approche éditorialisée autour d'un thème. « Si c'est juste "moins cher", la valeur perçue du numérique est dégradée, alors que nous assumons chez Editis une politique de prix numérique qui peut être considérée commeélevée. » La part des promotions ne représente ainsi que 15 % des recettes numériques du groupe.

Inclure les libraires

Il faut aussi les faire connaître auprès des lecteurs, ou des revendeurs. « Nous envoyons 11 millions de messages par an, en newsletter ou en alertes sur les smartphones », calcule Luc Bourcier. Les diffuseurs en communiquent la liste aux revendeurs, de façon encore artisanale. « Je compile les grilles des éditeurs qui sont envoyées sur des feuilles Excel », indique Marie Rajaonavah. Merchandiser de Kobo pour la France, la Belgique, la Suisse et le Québec, elle lance une offre pour les nouveaux possesseurs de liseuses : 150 titres à 1,99 euro. La spécialité de Kobo et de son partenaire la Fnac, ce sont les packages « 3 livres pour le prix de 2 ». « L'offre dure 3 semaines, nous proposons 80 titres en ce moment », précise-t-elle.

Les diffuseurs savent jouer des particularités des revendeurs, « pour éviter aux éditeurs de dépendre d'un seul d'entre eux. Cette recherche d'équilibre est une de nos fonctions », insiste Emilie Mathieu. L'offre « 3 pour 2 » n'est techniquement maîtrisée que par Kobo et la Fnac. Lorsqu'ils y participent, les éditeurs savent donc qu'ils ne travaillent qu'avec ce réseau, même s'ils proposent ce barème à tous les autres. « Dans notre activité, la part d'Amazon est aux environs de 30 à 35 % », précise la P-DG de e-Dantès, pour laquelle le vrai défi est d'inclure les libraires indépendants.

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