Michel Butor n’est pas seulement l’un de nos plus grands écrivains vivants, c’est un puits de savoir, notamment sur l’art, qu’il a placé depuis toujours au cœur de sa création : essais, livres illustrés par des artistes. C’est aussi un sacré pédagogue, un maître aimable et facétieux, qui nous invite aujourd’hui à sa suite à travers les salles de son musée imaginaire, c’est-à-dire les chapitres de ce livre. Six, à la fois thématiques et subjectifs ("Vertiges de la bourgeoisie", "La révolution qui n’en finit pas", ou "Interrogations sans frontières"), et chronologiques, des anges planants de Giotto au-dessus du Christ mort (vers 1305) à l’écorché du Notary de Basquiat de 1983.
Quant à la scénographie, c’est-à-dire la maquette, due à Spassky Fischer, elle est inventive, parfaitement en accord avec le projet. C’est de la belle ouvrage, une vraie création éditoriale.
Après avoir justifié son projet, et le chiffre, 105, plutôt inhabituel, expliqué ce qu’est pour lui une œuvre "décisive ", à savoir qui, parfois des siècles après son exécution, "fait date" dans notre histoire de l’art, Butor entre dans le vif de son sujet. Chaque tableau se voit consacrer une double page, reproduction du tout ou de plusieurs détails, face à une page de texte de l’écrivain : description, analyse, interprétation, commentaires personnels, détail inattendu, rapprochements pertinents. Ainsi se souvient-il de sa première fois aux Offices de Florence, il y a soixante ans, ou, à propos de Giotto, de deux passages d’Ala recherche du temps perdu. Dans l’un, Swann compare une servante à la Charité du même Giotto. Dans l’autre, le narrateur, lui, se rappelle ses anges "qui font des loopings".
C’est passionnant, parfaitement accessible à tout un chacun, et ça donne envie de retourner au musée en famille. Malraux, prophète, voulait que l’art soit accessible à tous. Butor est son digne disciple. J.-C. P.