Contrairement à d'autres pays du Maghreb ou du Machrek, il n'existait pas, explique Leïla Slimani à propos de sa nouvelle entreprise, de grande saga romanesque consacrée à l'histoire moderne de sa patrie d'origine, le Maroc. Un vide qu'elle a décidé de combler aujourd'hui avec une trilogie, dont les deux tomes suivants devraient paraître respectivement en 2022 et 2024. Si elle tient le rythme, soutenu.
Le premier volume, Le pays des autres, installe le décor, le Maroc de la région de Meknès, dans les années 1950-1955, soit juste avant l'indépendance, proclamée le 2 mars 1956. Ainsi que les personnages, la famille Belhaj, et toute la galaxie qui gravite autour.
Le patriarche fondateur, Kadour, avait acheté en 1935 un domaine à 25 kilomètres de Meknès. Une terre aride, une baraque minable. Mort en 1939, il n'a pas eu le temps de vraiment le développer. C'est son fils aîné Amine qui lui succède. Un garçon sérieux, honnête, travailleur, mais qui porte aussi en lui une certaine violence, ne serait-ce que depuis la guerre, qu'il a faite en tant que commandant dans l'armée française. Justement, c'est en Alsace, en 1944, qu'il a rencontré Mathilde, une jeune femme rebelle, fantasque, passionnée, complexe, qui tombe amoureuse de sa beauté, de son rayonnement. Ils se marient en 1945, à l'église ! Il a 28 ans, elle 20. Et ils partent s'installer au Maroc.
Deux enfants naissent. Aïcha, une sauvageonne peureuse, chétive, mystique (elle va à l'école chez les bonnes sœurs, est fascinée par Jésus), mais surdouée. Et Selim. Dans la famille, il y a aussi la mère d'Amine, Mouilala, qui réserve plutôt un bon accueil à sa bru étrangère et chrétienne ; Selma, la jeune sœur, belle, insolente, fugueuse, qui tentera d'aimer un aviateur français, lequel la mettra enceinte avant de disparaître. Elle sera reprise en mains par Amine, qui la mariera de force à Mourad, son ancien aide de camp devenu contremaître à la ferme. Un type bizarre, violent, « collabo » détesté de tous les travailleurs indigènes, qui nourrit un sentiment amoureux pour son patron. Quant à Omar, l'autre fils Belhaj, jaloux de son aîné, haineux, anti-Français, musulman fanatique, il s'enrôlera chez les nationalistes et participera aux premières actions commises contre les colons et leurs biens.
Car, à travers la famille Belhaj, ses difficultés, ses crises, ses tensions, Leïla Slimani a voulu dépeindre un monde en train de s'effondrer, celui du Maroc colonisé par les Français, avec leurs privilèges, et leur racisme. Mathilde elle-même est considérée par la « bonne société » locale comme une paria. A la fin, des massacres sont commis de part et d'autre, des maisons et des fermes brûlent. Omar est au premier rang des combattants. Amine et Mathilde se pensent épargnés, et résistent côte à côte, prêts à défendre leur union « moitié orange - moitié citron », mixte, métisse. Le pourront-ils ? On attend impatiemment la suite de cette saga nerveuse, âpre, parfois crue, centrée autour des personnages de femmes de différentes générations. La jeune Aïcha, en particulier, séduit et intrigue.
Quant au sous-titre du roman, « la guerre, la guerre, la guerre », augmenté de « taratata » dans la version d'origine, ce sont des paroles prononcées par Vivien Leigh, alias Scarlett, dans Autant en emporte le vent. Elles résument bien la situation, et laissent planer nombre de menaces pour la suite.
Le pays des autres
Gallimard
Tirage: 120 000 ex.
Prix: 20 euros ; 368 p.
ISBN: 9782072887994