Jean Teulé aime les poètes à l'œuvre novatrice, à l'inspiration libertaire, aux mœurs dissolues qui scandalisent le bourgeois quelle que soit l'époque, les clochards célestes à la vie tapageuse et souvent misérable : Rimbaud, Verlaine, Villon, par ordre d'apparition dans son casting. Voici aujourd'hui Charles Baudelaire (1821-1867).

Sous ses titres accrocheurs, Teulé fabrique des biographies iconoclastes, où l'érudition littéraire réelle se mêle à des anachronismes, à des scènes grivoises, voire scabreuses, complaisamment représentées, comme si le lecteur/voyeur avait été là, l'œil collé au trou de la serrure. Et c'est ce joyeux bordel qui a fait son succès, lequel, depuis Rainbow pour Rimbaud (Julliard, 1991), ne se dément pas. Y compris lorsqu'il traite d'autres personnages que des écrivains.

De Baudelaire, les 46 ans et quelques mois de vie sont bien connus, très documentés par les biographes, essayistes et mémorialistes, y compris de son temps (comme ses amis Nadar, Théophile Gautier ou Charles Asselineau, le fidèle des fidèles). Jean Teulé a utilisé leurs écrits, qu'il cite volontiers, et les en remercie.

On avait oublié ses épisodes les plus sordides, son sadomasochisme, sa méchanceté, sa cruauté, envers les femmes notamment. Incapable d'aimer, impuissant, rongé par la syphilis que Jeanne Duval, l'une de ses muses, lui aurait, selon certains biographes, refilée, camé au laudanum, opium liquide dont il a abusé durant vingt ans, cuit au mauvais vin, ruiné, quémandant sans cesse quelques francs à ses amis ou à sa mère Caroline remariée au commandant Aupick qu'il détestait, logeant dans des gourbis infects dont il déménageait à la cloche de bois... Tout cela pourrait finir par écœurer s'il ne restait l'œuvre qui s'est nourrie de cette pauvre vie, ces Fleurs du mal poussées sur un tas de fumier, comme a dit la critique bourgeoise de l'époque, outrée, qui a applaudi lorsque le poète et son admirable éditeur Auguste Poulet-Malassis, un saint homme, ont été condamnés pour leur publication, en 1857. C'est là la partie la plus enlevée, la plus réussie, la plus cocasse du roman de Jean Teulé, documents à l'appui. Par exemple, ce fac-similé du bon à tirer du livre, avec autographe de l'auteur, lequel a failli rendre mabouls les ouvriers typographes de la bonne ville d'Alençon, où Poulet-Malassis avait son imprimerie. Le malheureux fit d'ailleurs faillite, en partie à cause de Baudelaire, et dut s'exiler en Belgique... où il retrouva son auteur infernal, venu donner à Bruxelles des conférences calamiteuses.

C'est là, dans ce pays qu'il haïssait, qu'il a été frappé d'une attaque, le 15 mars 1866, au sortir de chez son admirateur Félicien Rops. Aphasique, hémiplégique, rapatrié à Paris par sa mère, il vécut ses derniers mois dans une clinique près de l'Arc de Triomphe, ne pouvant plus proférer qu'un seul mot, « crénom ». Un juron, un blasphème, forcément.

Jean Teulé
Crénom, Baudelaire !
Mialet-Barrault
Tirage: 120 000 ex.
Prix: 21 € ; 432 p.
ISBN: 9782080208842

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