Il est certains livres dans lesquels on ne peut entrer que par effraction. Des livres dont une part de gêne, d'embarras, participe du bouleversement qu'ils provoquent chez leur lecteur. Ainsi de ce De là où tu es, dernier livre de la journaliste et critique de cinéma Claire Vassé, après trois romans et deux essais biographiques consacrés à Catherine Breillat et Claude Miller. Miller justement, mort ce printemps, est l'homme auquel elle s'adresse dès le titre de son livre.
Ce serait donc l'histoire d'un homme et d'une femme qui se trouvent et se perdent sans cesse, car elle est moins libre qu'elle ne le croit, lui plus marié qu'il ne devrait. Bref, ils s'aiment, entre deux courants d'air, comme ils peuvent, avec toutes les ressources de leur imagination. Ils font assez peu de projets (la situation ne l'autorise pas), mais bientôt un enfant. Et puis, quelques films, ruptures et retrouvailles plus tard, Claude meurt et Claire écrit. Ce livre-là, tout de désolation et de ferveur, de rage et d'infinie tendresse.
Claire Vassé tient donc la chronique de cet amour malaisé, mais jamais malséant. Elle confronte son lecteur à ses propres inclinations voyeuristes. Ce qui trouble infiniment ici, ce n'est pas l'identité et la notoriété du père de sa fille, c'est le poids de ce chagrin qu'il révèle, où joie et désastre sont intimement mêlés. Ce livre-là, elle ne pouvait faire autrement que de l'écrire ; rien n'oblige en revanche à le lire, mais si l'on s'y résout, le lecteur se doit d'en partager équitablement le poids de douleur et de beauté. Car une chose en tout cas est sûre, De là où tu es est aussi, et peut-être surtout, une vraie proposition de littérature.