Sans doute n’était-ce pas le livre auquel son frère pensait lorsqu’il lui ordonnait affectueusement, dans un message: "écris ton livre". Peut-être même qu’Olivia de Lamberterie n’aurait jamais franchi le pas s’il n’était pas mort… Mais voilà, la chroniqueuse littéraire (Elle, "Télématin", "Le masque et la plume"), celle qui fait "le métier de lire", a naturellement choisi de chercher des mots pour prolonger Alex qui a mis fin à ses jours à 46 ans, le 14 octobre 2015 à Montréal. Alex le magnifique, son cadet de trois ans, son héros "altruiste et charismatique", vaincu par la mélancolie.
"Où es tu, mon frère ?", se demande-t-elle. Il est dans ses pages, que toutes les fratries unies, les paires liées, liront le cœur serré, en pleurant et en souriant aussi. Il est tel que sa sœur veut en préserver l’image adorée: gai, fantasque, extraverti mais aussi laminé par les idées noires, une récurrente et immense fatigue d’être, trompant ses proches et sa dépression souterraine entre des séjours "chez les dingos". Il est dans les souvenirs des membres de cette famille privilégiée, tribu recomposée: Florence, sa compagne de vingt ans et leurs deux enfants. Les parents qui appartiennent à la grande bourgeoisie du 16e arrondissement parisien, la sœur aînée et la benjamine, les maris et les enfants, les grands-pères… Dans cette famille, où "on ne parle pas de ce qui tache" mais solide et ouverte, le frère et la sœur ont pris des chemins moins balisés. Elle a été mère à 20 ans du premier de ses trois fils; lui, "l’artiste de la famille", est devenu directeur artistique de l’entreprise de jeux vidéo Ubisoft au Québec. "Ça va passer" a été le mot d’ordre d’une enfance lumineuse où à "La petite école", inspirée de la méthode Montessori, on apprenait aux enfants "à avoir bon cœur".
Olivia de Lamberterie raconte son Alex avec simplicité sans chercher d’explications à l’inexplicable. Même si "ce truc qui nous cloue", comme disait le frère, ce dérèglement du thermostat de l’âme (dysthymie, diagnostiquera tardivement un médecin) a déjà touché d’autres hommes de la famille et ressemble à cet "entre-deux" dont sa sœur connaît bien les fondations instables. L’écriture a filtré le chagrin pour retenir, dans ce qu’Alex a laissé, la joie, la fantaisie et le goût de "la beauté du monde". "J’apprends à vivre en bonne compagnie avec la mort, à inventer une nostalgie heureuse, à débarrasser la souffrance de tout ce qui pourrait non pas l’amoindrir, mais la salir : la culpabilité, les regrets, les remords."
Avec toutes mes sympathies, selon la formule québécoise traduite de l’anglais pour exprimer des condoléances, n’est pas un livre de deuil - l’expression accable celle qui a décidé "une fois pour toutes" de ne pas faire son deuil -, mais un livre de manque et de gratitude, à la vie, à la mort. Ou plutôt à la vie, à la vie. Véronique Rossignol