"Je savais qu’un jour je finirais par m’y atteler." Pour un historien, et qui plus est grand spécialiste de la politique française, François Mitterrand est un morceau de choix. Après les biographies remarquées de Clemenceau (Perrin, "Tempus", 2011), Madame de Staël (Pluriel, 2012) et Flaubert (Gallimard, 2013), Michel Winock s’attaque donc au "Florentin" de la Ve République.
Mais qu’on ne s’attende pas à la tentative d’exhaustivité ou au déballage de la vie privée. D’autres l’ont déjà fait. Non, ce qui intéresse l’auteur de Lafièvre hexagonale, c’est l’animal politique derrière la figure de celui qui fut affectueusement surnommé "Tonton" par ses proches et "L’arsouille" par de Gaulle.
Michel Winock nous décrit un homme qui n’est pas un visionnaire. En revanche, il possède une lucidité étonnante de l’instant. C’est ce qui explique son évolution, d’autres diront son louvoiement, de la droite vichyste puis résistante à la gauche socialiste qui donnera au PCF le baiser de la mort pour parvenir au pouvoir.
Michel Winock ne cache rien des ambiguïtés de Mitterrand, voire de ses mensonges. Il ne les excuse pas non plus. Il tente simplement de comprendre cette figure qui a incarné la France et qui s’est battu pour la construction européenne. Il nous montre un Mitterrand d’autant plus fascinant qu’il est le contraire de l’homme providentiel, l’anti-de Gaulle, celui que l’on n’attendait pas mais qui finit par tomber à pic.
Avec lui, de Vichy à la Ve République, nous redécouvrons un grand album de famille dans lequel il a toujours sa place. Et nous revoyons les grandes étapes d’une carrière cadencée par les coups tordus et les coups d’éclat.
En fait, ce bibliophile appréciait plus les instruments de la politique que la politique elle-même. Car sur son action, Michel Winock reste "dubitatif". Il fut stratège par goût du pouvoir, "socialiste d’occasion", selon la formule de Régis Debray, et consolidateur d’une Ve République qu’il avait combattue. Comme le dit joliment l’historien, Mitterrand a toujours tenté de ne pas "vivre au-dessous de lui-même". Carriériste retors, sincère par inadvertance, il fut un maître renard qui a séduit bien des corbeaux. Ainsi, il n’est pas peu flatté d’entendre son Premier ministre Jacques Chirac lui donner du mon général… un jour à l’Elysée. "Chez lui, écrit Michel Winock, la fidélité aux hommes ne s’est jamais accompagnée d’une intransigeance sur les idées." Outre le plaisir de lecture, on résumera cette biographie par les trois mots de François Mitterrand à Lionel Jospin qui lui annonce sa victoire en 1981 : "Quelle histoire, hein !…" Laurent Lemire